Thierry Roquet, les jours d’enfance, confusément, etc.

2017-12-29T23:08:20+01:00

 

1– les jours d’enfance, confusément
des êtres chers nous ont quittés
d’autres sont arrivés c’est ainsi
ils sont de plus en
plus lointains
ces jours d’enfance
il n’est nulle­ment ques­tion de les lier
à un bon­heur per­du — ce serait un mensonge
on les a longtemps
ignorés mis
de côté
cade­nassés sûrement
croy­ant n’avoir strictement
rien à tirer
de ces jours-là
mon passé, ma mélasse
ma cham­bre à l’étage
haut cerisi­er du jardin
chemin pous­siéreux
nos vélos sur les gravillons
deudeuche bleue de ma mère
regard froid de mon père
bouille cabossée de mon frère
les longs dimanch­es d’ennui
et tout le reste qui ne fait pas une vie
mais
le temps file à une allure
on a déjà vécu pas mal d’années
on sent con­fusé­ment qu’il est peut-être temps
que quelque chose
des images par­fois des sons ou des odeurs
peut-être aus­si un peu de nostalgie
ce d’où je viens
con­tre l’inexorable
con­tre l’image en négatif
con­tre moi-même
ce n’est qu’une porte légère­ment poussée
entrouverte
qu’une oublieuse mémoire peine
à retrouver
on se dit oui il le faut
pourtant
oui on peut y remettre
un peu d’ordre
à présent
avant qu’un cycle ne
s’achève
avant qu’il ne soit trop tard
tout simplement
mais ce n’est pas si simple
vrai­ment pas si simple
que ça

 

 

2- le som­meil est une solu­tion comme une autre
elle aimerait dormir
ne rien faire d’autre
que dormir
me dit-elle
dormir toute la journée
et ne penser à rien
et dis­paraître sans faire de vagues
c’est une autre façon de dormir me dit-elle
car ces vagues ont
trop de nus vertiges
trop d’insistances
et trop de tentatives
me dit-elle
c’est comme ça que
son corps que
ses pen­sées se font douleurs
intimes
et c’est comme ça
depuis l’adolescence
vomir
depuis toujours
vomir
j’en ai marre me dit-elle
mais
elle nous aime
elle ne nous oublie pas
elle me racon­te même parfois
un rêve érotique
dans lequel je la désire
encore
&
puis tous ces cauchemars
con­tre lesquels
je ne peux décidément
rien con­tre lesquels
elle n’y peut rien con­tre lesquels
la vie se con­tente trop souvent
du strict minimum
il fau­dra vous y pré­par­er me dit-elle

 

 

3- le wag­on de tête (décem­bre 2011)
Nous auri­ons un chien
ça n’irait pas plus mal
moi je me charg­erais de le caresser
et tu pour­ras le faire aussi
lui se charg­erait d’aboyer
on lui mon­tr­era com­ment faire
s’il ne sait pas
s’y pren­dre avec douceur
il viendrait se blot­tir près du lit
ah oui ce chien je l’imaginerais bien
au pied du lit
de ton côté ou du mien
c’est comme tu veux
bon ok plutôt du mien alors
pen­dant que je lirais quelques pages
d’un poète qui finirait
de me rem­plir d’amour
un truc qui y ressem­ble et rassasie
et tu t’endormirais
shootée comme à l’accoutumée
sans sexe ni tendresse
en rêvant dieu sait quoi
d’en finir
d’un ailleurs
de ton père
d’hommes plus vir­ils que moi
d’une autre vie
en somme
depuis le wag­on de tête de
l’Orient-Express
sans me dire si
j’y suis à bord

 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Thierry Roquet

Thier­ry Roquet Né en 1968, à Rennes. Vit à Malakoff, ban­lieue parisi­enne, depuis 16 ans. Avec squaw berbère et singe minia­ture au ban­jo. Boulots ali­men­taires, type télémarketing.

Bibliographie sélective

  • Comme un insecte à la fenêtre (Gros Textes / 2011),
  • Le cow-boy de Malakoff (Péda­lo ivre / 2014),
  • Pleines lucarnes (avec FX Farine) (Gros Textes / 2016),
  • Luberon-Malakoff, chroniques élec­tron­iques (avec Hélène Das­savray) (Gros Textes / 2016),
  • L’am­pleur des astres (Cac­tus inébran­lable / 2016).

 

© photo Isabelle Poinloup
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