365 arts de vivre, 365 manières d’être, 365 éclats de poésie dans cette éphéméride de Thomas Vinau composée de « 365 poèmes sous la main » à travers lesquels le quotidien se fait l’écrin de ces véritables pierres précieuses, dans la capacité de l’écriture à sublimer le réel, moments d’épreuve ou instants de joie arrachée, pour en faire le matériau de ces joyaux du langage, autant d’épures de l’expression, une ressource de mots semés sur la page en élixir pour nous sauver, au jour le jour, de nos maux, et laisser grandir dans nos cœurs, ces Fleurs du Bien…
Ce fleuve de parole réparatrice, l’auteur le conçoit comme un cours d’eau ou d’encre fertile : « Une rivière qui creuse son lit entre les arbres et les roches, les cadavres et les fleurs, avec ce que la nuit et le jour veulent bien lui laisser. Suivant les endroits, elle sera plus ou moins fraîche, accueillante, aride. Vous pourrez y tremper les pieds chaque matin. Au besoin ou à l’envie. Si tout se passe comme prévu, vous y verrez une vie défiler comme dans un éclat de miroir trouble et glacé. Une langue, des amours, des manques, des enfants, des rires, des colères, des copains, du temps, des questions sans réponses et des réponses sans questions. »
Grands malheurs ou petits bonheurs, sa poésie déployée au fil de vers libres se veut appel à ne pas renoncer, à rester vivant et debout, à narguer encore un peu la faucheuse en goûtant à la beauté du jour !
Thomas Vinau, C’est un beau jour pour ne pas mourir,
Le Castor Astral, 2019, 418 pages, 17 euros.
Ainsi son exhortation à vivre, à vivre encore, il la fait « Plutôt deux fois qu’une », pour reprendre le titre d’un de ses poèmes qui décline le manuel de conjugaison pour un emploi intensif de ce verbe et de ses dérivés : « Numéro 76/du Bescherelle/rouge/j’ai vérifié la conjugaison/du verbe Vivre/ce matin/c’est toujours intéressant/de savoir utiliser le verbe Vivre/Tout en bas de la page est écrit :/Ainsi se conjuguent Revivre et Survivre. »
C’est ce combat perpétuel avec ses défis de l’aurore, entre la tristesse d’être extrait à la nuit originelle et l’espérance du matin rosi à l’horizon, entre « La grisaille et l’or » pour filer la métaphore de l’incessant commencement de la journée, pari à relever avec ardeur, à l’image du soleil qui se lève, dans ce tutoiement de la voix conseillère où le lecteur semble l’écho de l’intimité du poète : « Tu te lèves/il faut bien se lever/t’es réveillé/et t’es pas mieux couché/tu te lèves donc/dehors le vent /défrise les arbres/le beau petit saccage/a déjà commencé/ton chien se cache/sous l’évier/ton fils saute/sur ses pieds/ta femme/enfonce sa tête/dans l’oreiller/les volets claquent/et c’est parti/pourtant la nuit/n’a pas transformé/la douleur/en diamant/ou la méchanceté/en sourires/pourtant ceux/qui meurent/continuent/de mourir/mais la chaleur/a faim/et le jour/est levé/dans le ciel/déchiré/se mélange/la grisaille/et l’or/d’une journée »
Des scènes croquées avec des portraits choisis, des rencontres haletantes comme des coups de foudre, des quintessences de temps vécu dépassant la douleur ou l’allégresse, au tamis des mots, la plume saisit l’éternité de l’instant, prélude à un hymne à l’amour déchirant, entonné dans des passages en acmés, entre souffrance de la passion et extase de l’union, variations de l’art d’aimer, de l’ode à l’ensorcelante inconnue à l’élégie sur la durée éloignant les êtres, entre les deux titres significatifs que seuls quelques feuillets séparent : « Ça ne se voit pas mais je saigne » et « Au bout de moi il y a toi » s’ouvrant de l’abandon de la rupture à la paix du retour de l’aimée : « j’abandonnerai un peu des remugles/de ce gouffre sombre/qui grandit entre toi et moi/je vais marcher/jusqu’au sommet/du sommet/de mon silence/quand tu reviendra/ je serai là »
De la magie des états de grâce à l’usure de l’existence, sans perdre le rythme palpitant du cœur qui bat, c’est la trame même de cette dernière, vécue par chacun, dans ce qu’elle a à la fois de concret et d’original, de cette tension entre le singulier et l’universel, que le sens de la formule propre à Thomas Vinau magnifie, et l’on a alors envie de se plonger encore dans ce journal comme on converse avec un ami : un livre compagnon de cheminement, dont on goûterait les pages comme les conseils d’une voix avisée et réconfortante, véritable proposition au partage d’une poésie comme « Un bout de pain » en toute camaraderie : « La poésie doit être partagée/sinon elle ne sert à rien/pas comme une prière/mais comme un bout de pain/pas comme un butin/mais comme une clope/qui passe de bouche en bouche/en attendant le bus/un petit lundi de semaine/pas comme une formule secrète/mais comme une pizza/posée entre quatre culs serrés/à l’arrière d’une voiture/à trois heures du matin/ou comme le sourire dépeigné/entre deux femmes fatiguées/perdues dans la queue du pôle emploi/la poésie tient sur ses pieds/debout/mais pas/tout à fait droit »
Mots de travers d’une réalité duraille ou chants exaltés de cette part de merveilleux que l’on retrouve nichée dans cet ordinaire tour à tour savoureux ou cruel, au bout de ces 365 poèmes, c’est un an de vie, celle de l’auteur comme celle que vient y chercher le lecteur, la sienne, la tienne, la mienne, la nôtre enfin, en invitation à tenter de vivre, dignement et intensément, mais toujours à hauteur d’homme…
Présentation de l’auteur
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