Titus-Carmel : autant poète que peintre

 

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            Gérard Titus-Carmel : peintre, graveur et poète mais aussi auteur d'écrits sur les artistes contemporains ou du passé. Ce livre, une somme, réunit les textes des dernières 45 années. Roland Recht, dans sa préface, met en évidence quelques pistes :

- interroger la peinture parce que "une part de la chose qui sert de modèle" se dérobant, il est nécessaire de "la saisir avec d'autre moyens",

- une activité d'écriture est un "retour sur la pratique de la peinture" (déconstruction ?),

- la peinture est spécifique par rapport aux autres arts plastiques,

- les rapports entre écrire et peindre.

À la lecture de ce gros volume, qu'en est-il au juste? Je pose la question, je n'y réponds pas : car l'important est bien de la poser, non d'y répondre ; il ne s'agit pas d'imposer au lecteur mon point de vue…

 

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            Sans doute est-il difficile de rendre compte d'une telle somme dont les pièces s'étalent de 1971 à 2015 : le point de vue de l'auteur a eu le temps d'évoluer. Aussi ces notes refléteront-elles mon humeur, mes préférences, mes lectures… Aussi, ce que le lecteur remarquera immédiatement, c'est la cohérence du recueil : cohérence entre le dessin et la nature qui n'est pas sans rappeler le travail récent de Titus-Carmel (ses feuillées, ses nielles…) ou cohérence entre la poésie et la peinture ou le dessin ("Travaille comme le tanneur : racler le derme du papier. (Je lui fais la peau)" : tout est dit dans cette dernière brève phrase, y compris la coïncidence entre la poésie et le dessin ! La phrase se fait saccadée, courte, nominale pour mieux capter le flux de la pensée, la fulgurance de la vision. L'écriture est ici le moyen de tenir à distance (être conscient) le dessin. On se moque alors de ne pas connaître tous les travaux picturaux qui donnent naissance à ces écrits : on devine. Comme on devine qui est Titus-Carmel : il suffit de lire le Portrait de l'Artiste en ses goûts et couleurs mêmes (pp 42-47). Le plasticien n'élude pas le rôle joué par le hasard dans les formes trouvées (l'éventail, la croix…). Reste alors à s'interroger sur l'origine de ce hasard : pure contingence ? ou résultat de l'enseignement voire de la fréquentation des œuvres ? Gérard Titus-Carmel fait pénétrer le lecteur dans le secret de l'atelier, dans les procédés de fabrication, de la matière qui va servir de support, comment finir une série…

 

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            Sur l'exposition : Titus-Carmel s'interroge sur le fonctionnement de l'oeuvre ; "en-dehors du tête-à-tête avec l'artiste" propre à l'atelier. Les expressions concrètes sont mises au service des réponses : réaction au sens chimique, prendre corps dans la réalité, mettre en vue…

 

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            "Le rapport entre le vrai et le faux est uniquement un rapport mental", tel est le titre d'un entretien avec Bernard Noël. Gérard Titus-Carmel y interroge le rapport du vrai et du faux dans le rapport dessin / modèle. Le dessin est aussi réel que le modèle.

            Quelques pages plus loin, Gérard Titus-Carmel met en évidence ce qui différencie la peinture et le cinéma. Je ne parlerai pas de cette opposition classique entre la négation du temps propre à la peinture et le déroulement de la fiction propre au cinéma : il faut lire attentivement le raisonnement de Titus-Carmel ici, mais aussi sans doute ailleurs dans le livre car comment lire une telle somme ?

 

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            Gérard Titus-Carmel dresse une galerie de portraits de peintres dans un texte de 1988 intitulé "Ombre portée". Tous ont un frère, peintre le plus souvent. C'est la manière pour Titus-Carmel de poser le problème de son identité comme le précise la note précédant ce texte dans laquelle il avoue avoir du mal à se reconnaître dans les photographies prises de lui… Éclairant !

            Changement de registre avec "L'Indolente d'Orsay". Les notions de plaisir (p 209), de gravité (p 210) et de modèle dans ses différentes variantes (celui qu'on a sous les yeux et celui qu'on a dans la tête, p 238) ont leur importance. Les titres de ce tableau se sont succédés comme si Bonnard hésitait à nommer sa toile. La peinture est une affaire  sérieuse et au travers de ce texte on découvre que Titus-Carmel connaît bien l'histoire de la peinture, les tableaux des uns ou des autres : on ne parle pas impunément de la peinture.

 

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            Gérard Titus-Carmel commence son "Imprécis de l'estampe" (publié en 1992 par les Éditions de l'Échoppe à Caen) par des vers, placés en exergue, de Michel Leiris rappelant ainsi que le peintre est aussi poète. Ça commence par quelques lignes lourdes de sens : "Travailler la gravure ou la lithographie, c'est d'abord et avant toute chose penser et travailler à l'envers" (p 247).

            Quelques idées intéressantes (qu'il est bon de rappeler) :

- le tirage n'épuise pas le dessin (fait à l'envers), il n'y a pas de préséance dans le tirage ;

- c'est le temps qui est partagé entre les différentes épreuves ;

- la différence entre la gravure et la lithographie réside dans le devenir de la matrice ;

- Titus-Carmel maîtrise son sujet : il connaît bien l'histoire de l'estampe, les différentes techniques, et même une certaine inquiétude, métaphysique (pourrait-on dire, au sens premier du qualificatif) comme cela apparaît dans un texte intitulé justement "L' épreuve du premier regard" (p 259) ;

- le goût des grands papiers et de l'écran sérigraphique ;

- la culture de Titus-Carmel ignore les frontières géographiques comme les limites du temps ;

- etc …

 

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            L'une des difficultés rencontrées à la lecture provient de ce que je ne connais pas (et loin de là !) toutes les œuvres abordées ou analysées (je pense, par exemple à "Two Black Angels" de Kurt Schwitters). Mais l'auteur donne l'envie de prolonger la lecture par la découverte de visu de l'œuvre. Est-ce possible ? Sans doute abandonnerai-je devant la difficulté… L'important, n'est-ce pas le désir ? Ce que je retiens, c'est le savoir encyclopédique du dadaïste…

 

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            L'étonnant est que le peintre Philippe de Champaigne ne m'intéresse pas. Mais que l'exergue de Chaïm Soutine (p 373 : "Je tuerai tous mes tableaux") retienne mon attention. Pourquoi faut-il que je pense à la chanson d'Alain Bashung, "Je tuerai la pianiste" ? L'association d'idées, comme moyen de connaissance ? L'horreur de la mort ? Mais je divague. Encore que ! La référence (p 403) à "L'Enterrement à Ornans"  de l'immense Gustave Courbet me donne sans doute raison. Qui dira les méandres et les mystères de la lecture ? Ainsi la réduction de ce texte de 80 pages à cette note de quelques lignes…

 

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            (Lire plus de 700 pages est une gageure ; les lire d'affilée, une impossibilité ou quasiment. Aussi cet article reflètera-t-il les humeurs changeantes du lecteur, ses doutes, ses interrogations. Dont celle-ci : ai-je bien lu ? n'ai-je  pas dérivé ?)

 

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            À la page 453 d'Au vif de la peinture, à l'ombre des mots, Gérard Titus-Carmel place son texte sous un exergue de Jean Genêt (extrait de L'Atelier d'Alberto Giacometti)  qui définit l'origine de la beauté par la blessure personnelle que chacun porte en lui. Titus-Carmel cite Genêt pour dire qu'il se reconnaît dans cet espace ainsi nommé, espace où il peint ou dessine et écrit aussi, "à part égale" ; mais c'est pour aussitôt ajouter que la beauté lui échappe. C'est donc une leçon de méthode que donne Titus-Carmel relevant des arts plastiques autant que de l'écriture : il faut souligner les verbes employés, élaguer, étêter, couper, rompre, trancher, démonter… Leçon d'une méthode à découvrir, à lire !Écrire et peindre, même combat.

 

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            Ce qui nous mène au constat qu'on sait : Titus-Carmel est autant poète que peintre. Vers la fin de ce gros volume, on trouve plusieurs textes qui abordent le problème de cette double activité. De "Retour d'écho" (un texte de 2011), j'extrais ces lignes significatives : "J'entends pratiquer l'exercice de l'écriture avec ce même sentiment d'être toujours au bord du gouffre et de n'avoir rien à pardonner à cette vaste blancheur sur laquelle je me tiens également penché". Ou, plus loin : "Pareillement, la poésie prend leçon aux parages de la peinture, tout en s'informant d'elle-même, là où elle se bâtit dans la phrase, dans le rythme et la scansion des mots, comme dans l'arrangement des fragments qui composent le poème…" ou encore : "Car derrière tout cela se tient un même être, qui régente ces deux voix au sein d'une ambition commune, ou disons qu'un même écho les enchante en deux lieux distincts, ce qui justement me permet de les garder à bonne distance l'une de l'autre" (p 632 et p 633). Plus loin, on peut s'arrêter à "Lire, écrire, Peindre" (un texte daté de 2013) : "…l'exigence de l'écriture et le travail des mots devaient, pour moi, se situer en-dehors de toute histoire à raconter, quel que soit le mode de fiction…" (p 673). L'important, par ailleurs, étant pour Titus-Carmel de revendiquer l'autonomie de la peinture et de la poésie, même s'il reconnaît que ce sont les poètes  (qu'il définit "comme les parfaits interlocuteurs de la peinture") qui parlent le mieux des peintres : "Ils accompagnent heureusement la peinture plus qu'ils ne cherchent à l'expliquer" (p 676).

 

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            Ou note sur les notes… Que dès le départ, l'auteur de ces lignes ait choisi d'écrire son article sous forme de notes (dont le nombre pourrait être infini) n'annonce-t-il pas la couleur ? Y a-t-il plus belle métaphore de ce qu'est la peinture (et le dessin, et la gravure, et la poésie) que cette image du papillon harcelant André Breton à New-York (in "Papillon à New-York", pp 425-429) ? Un hasard objectif entre la volonté de capter l'invisible du monde et les moyens concrets, réels que décrit Gérard Titus-Carmel…