Frank O’Hara  et John Ash­bery sont par­mi les meilleurs poètes pour représen­ter les styles poé­tiques et mou­ve­ments cul­turels améri­cains influ­ents des années 1950–60. À peu près exacte­ment con­tem­po­rains, O’Hara est né en 1926 à Bal­ti­more dans le Mary­land , Ash­bery en 1927 à Rochester, ville indus­trielle au nord de l’état de New York. Pour­tant tous les deux ont gran­di loin des métrop­o­les, O’Hara dans un vil­lage de la Nou­velle Angleterre, Grafton, Mass­a­chu­setts, et Ash­bery sur une ferme près du Lac Ontario. Ils se sont ren­con­trés d’abord dans la péri­ode immé­di­ate d’après-guerre, 1945–1950, a l’université de Har­vard dont  tous les deux sont diplômés. Suite à leurs études avancées, O’Hara à l’universite de Michi­gan, Ash­bery à Colum­bia, tous deux se sont instal­lés a New York et se sont assim­ilés au mou­ve­ment  de la dite “école new-yorkaise” en poésie.  Il y a accord cri­tique sur l’influence du sur­réal­isme européen sur la for­ma­tion des deux écrivains, mais cette descrip­tion ne démon­tre peut-être que la grande vari­a­tion du style “sur­réal­iste” par­mi les écrivains qui s’en réclament.

O’Hara a vite adop­té la pose du “flâneur” (stroller en anglais) mod­erniste et baude­lairien,  obser­va­teur intime de la vie quo­ti­di­enne urbaine, le “beat” de New York et com­pagnon des habi­tants qui peu­plent ses rues ; aus­si plutôt d’enfant ter­ri­ble rim­bal­dien capa­ble de gestes qui font déli­cieuse­ment scan­dale et de man­i­festes irrévéren­cieux. Il réclame surtout comme mod­èles les grands sym­bol­istes français, aus­si le poète russe Mayakovsky. Dans le poème présen­té dans les pages de Recours au Poème, “Le Jour ou nous avons appris la mort de ‘Lady’ Hol­i­day” (tra­duc­tion française de “The Day Lady Died”) ce flâneur new-yorkais passe une péri­ode de sa journée dans une librairie à lire les poèmes de Ver­laine. O’Hara est mort jeune en 1966 à l’âge de trente-huit ans suite à un grave acci­dent  à Fire Island, sta­tion bal­néaire favorite de la com­mu­nauté gay new-yorkaise. Ain­si O’Hara s’apparente à une icône, celle d’une vie et d’une oeu­vre de type légende roman­tique, qui sur­git comme dans un flash pour s’éteindre aussitôt. 

Par con­tre Ash­bery est devenu l’icone même du poète pro­fes­sion­nel avec un par­cours de plus de cinquante ans, le lau­réat durable, auteur de mul­ti­ples vol­umes de poésie et de com­men­taires très écoutés, récipen­di­aire des prix les plus pres­tigieux, pro­fesseur de let­tres, con­sid­éré sou­vent comme le poète améri­cain le plus influ­ent  de notre époque. En ce qui con­cerne le coté “sur­réal­iste” de sa poésie et en dépit de l’évolution de son oeu­vre, Ash­bery a tou­jours fait preuve d’une prédilec­tion pour un style plus abstrait, plus formel,  et pour une élo­quence plutôt lyri­co-philosophique que l’on ne saurait  trou­ver chez O’Hara. Le poème d’Ashbery pro­posé au lecteur de Recours au Poème, “Le Pein­tre” (tra­duc­tion fran­caise de “The Painter”), pub­lié quand Ash­bery avait juste vingt-neuf ans, illus­tre bien cette préférence dès la pre­mière heure. Pour­tant, l’on cite sou­vent  une déc­la­ra­tion selon laque­lle il se voudrait surtout acces­si­ble au grand pub­lic de lecteurs.

Ce que l’on pour­rait trou­ver d’intéressant actuelle­ment est qu’Ashbery a con­tin­ué de par­ler et d’écrire sur O’Hara au fil des années, et donc d’une cer­taine façon a con­tribué à garder vivante la répu­ta­tion et la poésie de son con­frère flam­boy­ant, mort si jeune. 

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