Traversées poétiques

Traversées numéro 92 est la grâce estivale tout entière arrivée dans ma boîte aux lettres. Des couleurs acides et pacifiées par une typographie douce et une interface graphique sobre et au plus juste d’une discrétion voulue par Patrice Breno, directeur de publication.

Et plus que la discrétion, c’est l’effacement des paramètres paratextuels qui sont ici mis en œuvre. Le poème est alors offert dans une ipséité fertile. Rien ne vient en alourdir la réception, et la légèreté du papier soyeux et d’un blanc de neige est métaphore de la parcimonie d’emploi de tout paratexte. Le résultat est un nom, celui du poète, de l’auteur, puisque les catégories génériques ne sont pas cloisonnées, puis ses productions. Et pour parachever ce dispositif qui met le texte au premier et quasi unique plan, et qui offre une occasion de tous les déploiements sémantiques des contributions, le nom de l’auteur, ou du poète, est entre crochets. Un support qui signe cette volonté de  gommer tout élément de nature à orienter la réception des productions qui sont ainsi presque même détachées de leur créateur. C’est inédit, et rare.

 

Traversées n°92, été 2019, 4 numéros 30 €.

Quelques photos ponctuent l’ensemble. Elles sont accompagnées uniquement du nom de leur auteur. Ceci démultiplie les combinatoires sémantiques permises, entre les textes, entre les images et l’écrit, de l’ensemble à chacune de ses unités.

Des noms déjà croisés ou des auteurs inconnus affirment que cette volonté de ne considérer que le texte est effective, mais que le souhait est aussi de créer une communauté, une fraternité, un lieu d’expression ouvert et offert au partage. Des poèmes de Vincent ouvrent ce numéro dans lequel on peut également lire des poèmes en prose de Joël Bastard, des essais (Samuel Bidaud, En lisant et relisant Tintin), un ensemble de textes de Michelle Anderson, et tant d’autres , une somme de 161 pages qui mènent à cette totale immersion dans la littérature. Et cette plongée est d’autant plus profonde qu’aucun appareil tutélaire, ni aucune biographie ne viennent s’interposer entre le lecteur et le texte. Tout juste un sommaire en tout début de volume, et un édito à la fin, signé Patrice Breno :

 

I had a dream

Je rêve d’un monde où les humains iront moins loin qu’au bout de l’Univers, de leurs chaussettes, dépenseront leur énergie à communiquer réellement, à s’entraider les uns les autres, distribueront leur surplus à ceux qui ont faim, soif, chaud…

 

C’est bien, et c’est ceci, la poésie, la littérature, une Traversée(s) plurielle, ensemble, dans le langage pour aller au-delà en un lieu où énoncer le nom de l’humanité. Tout est là, dans ces pages où cette fraternité devient effective, palpable, visible, tangible. Il s’opère une espèce d’alchimie, comme une mélodie perceptible lorsque l’ensemble prend épaisseur, renvoie des notes qui se répondent, dialoguent, font sens. Il faut donc saluer, soutenir, offrir Traversées, pour que ce territoire fertile du poème s’étende.