Tristan Felix, Les Hauts du Bouc & autres nouvelles

Par |2022-10-21T11:07:38+02:00 21 octobre 2022|Catégories : Critiques, Tristan Felix|

« Que sait-on du mys­tère ani­mal à tra­vers la terre ? »

Il est facile de par­ler pour par­ler. Mais laiss­er se bal­bu­ti­er la vie, dans sa naïveté et selon ses méan­dres, laiss­er dire le moins dis­ert, c’est à la fois déli­cat, pas­sion­nant, sin­guli­er et … d’une urgence absolue quand on y pense. Com­ment faire en sorte qu’un chien, la foudre, un chêne, sept cane­tons, une abeille, puis­sent pren­dre la parole ? 

Comme on prendrait la Bastille, ou la mer ? Eh bien, il se trou­ve que cette parole, d’avoir été prise dans et par le végé­tal ou l’animal, n’en ressort pas indemne. Et c’est tant mieux. Il est vrai que ce livre n’est pas d’un abord facile, mais une fois qu’on en a apprivoisé l’écriture, on en rede­mande. Com­ment,  après avoir lu ce livre, après avoir bégayé, voy­agé immo­bile à la vitesse de la lumière, dans un autre univers, pour­rait-on sans honte revenir au bavardage, à « l’inférieur clapo­tis quel­conque » qui bruite si uni­ment, si plate­ment nos vies d’individus par­lants ? Quelque chose nous happe, pourvu qu’on se laisse faire, dès le début de la lec­ture de cet ouvrage, sans qu’on sache bien quoi. Ce n’est pas seule­ment un style, c’est une façon d’être, éton­nante, atten­tive, sin­gulière, néces­saire. Une atten­tion au petit, une parole pour ce qui n’en a pas. Nous pas­sons en d’autres dimen­sions que celles fréquen­tées à hau­teur d’homme.

Ain­si, dans la nou­velle « Trans­port d’ange » :

Une abeille.

Oui, une abeille toute menue, fraîche­ment issue de sa ruche et sans doute d’un trop court som­meil d’hiver. 

Alain Nou­v­el, Les Hauts du Bouc & autres nou­velles, de Tris­tan Felix édi­tions Æthalidès, avril 2022, 122 pages, 17 €.

Or, nous voici, ici, par­mi des hommes et des femmes ordi­naires, mais pour qui la vie de ces insectes importe : « Il découpe dans un vieux car­ton de salades enfoui sous son fatras arrière la sur­face d’une langue de bœuf. Puis il s’en sert comme d’un tapis volant sur lequel il essaie de faire atter­rir l’abeille. » (…) « Une feuille de hêtre au bout d’une main ten­due glisse sous le corps de l’insecte pour le haler jusqu’à la rive. »

D’une abeille à l’autre d’une rive à l’autre, deux abeilles dans une mémoire. Deux sauve­tages de vivants éphémères. Sollicitudes.

C’est que les per­son­nages de ces nou­velles ne sont pas seule­ment humains, ou plutôt, leur human­ité dépasse l’homme. « Au bord du laminoir écar­late, que sait-on de la stu­peur ani­male ? » (…) Ain­si, la nou­velle inti­t­ulée « Le gland » racon­te-t-elle com­ment un chien foudroyé donne nais­sance à un chêne et com­ment l’un et l’autre cohab­itent dans un même espace durant la vie de l’un, la mort de l’autre, la mort des deux.

« Il y a des fig­ures sur la terre qu’il faut ren­con­tr­er à la fin de l’été, au bout du jour quand la lumière de la mer a enfin largué ses cinq paque­ts de vérité : l’éternité, la lib­erté, la soli­tude, Dieu et les épaves. » Peut-être cette injonc­tion résume-t-elle à elle seule l’un des des­seins pro­fonds de ce recueil ?

Peu à peu, au fur et à mesure de la lec­ture des nou­velles, nous pénétrons l’infiniment petit, l’infiniment énig­ma­tique, les arcanes silen­cieux et pour­tant fam­i­liers de la vie et nous voici, avec les dernières nou­velles : « FIN DE LA TERRE » sur les rivages de Bre­tagne et de Nor­mandie, non loin de l’océan et de sa sen­so­ri­al­ité. Infin­i­ment petit et infin­i­ment grand, indissociables.

Mais ce qui fait la grande orig­i­nal­ité de ce texte c’est la façon dont nos représen­ta­tions y sont décen­trées : des tem­po­ral­ités sans rap­port avec les durées humaines, des espaces oniriques, étranges, énig­ma­tiques, selon des mesures autres. Un bouc prend la parole pour se plain­dre d’une étrange malé­dic­tion. La nar­ra­trice lui répond, par dev­ers elle, et se par­lant à elle-même : « Tu aurais pu être une chèvre, une de ces anci­ennes qui empêchent de tomber au bas de la falaise mais, der­rière les ajoncs, une autre pente t’attire qui se détache du territoire. »

Et on se laisse désta­bilis­er avec bon­heur. Plus de sépa­ra­tions entre les divers­es formes de vie et de pen­sée. For­cé­ment soli­taires, mais solidaires.

Présentation de l’auteur

Tristan Felix

Tris­tan Felix est née au Séné­gal et demeure à Saint-Denis. Poète polyphrène et poly­mor­phe, elle décline la poésie sur tous les fronts. Elle pub­lie en vers comme en prose, chronique et, pen­dant douze ans, a codirigé avec Philippe Blondeau La Passe, une revue des langues poé­tiques. Elle est aus­si dessi­na­trice, pho­tographe, mar­i­on­net­tiste (Le Petit Théâtre des Pen­dus), con­teuse en langues imag­i­naires et clown trash (Gove de Crus­tace). Elle donne des spec­ta­cles dans des théâtres, des galeries-musées, des médiathèques, salons, insti­tuts cul­turels ou sco­laires, fes­ti­vals. Elle expose ses dessins et pho­togra­phies. Elle organ­ise des lec­­tures-prouess­es sur scène ou à la radio, des Tro­quets Sauvages, des ate­liers de cal­ligra­phie et des con­férences ani­mées sur la manip­u­la­tion, à Paris comme en province. Elle enseigne par­al­lèle­ment les let­tres, à sa façon, au pied de la Goutte d’Or, à Paris.

En 2008, elle fonde avec le musi­cien com­pos­i­teur Lau­rent Noël L’Usine à Mus­es, pour la pro­mo­tion des arts vifs et de la poésie, et fab­rique des courts-métrages avec son com­plice nicAmy, cam­era­man. Elle cul­tive l’échange, l’étrange, le brut et le ciselé. Ses créa­tures venues d’ailleurs ten­tent de guérir qui s’y frotte. Son univers onirique est inquié­tant et jubi­la­toire, entre théâtre de rue intérieure, cab­i­net de curiosités et cirque poétique.

© photo Isabelle Poinloup

 

Recueils

Heurs, Dumerchez, 2002.
Fran­chis­es, avec Philippe Blondeau, L’Arbre, 2005.
À l’Ombre des Ani­maux (poèmes et pho­togra­phies), L’Arbre, 2006.
Coup Dou­ble, (poèmes et pho­togra­phies), avec Ph. Blondeau, Corps Puce, 2009.
Ovaine (con­telets et dessins), Her­maph­ro­dite, 2009.
Gravure, V.Rougier éd. 2011 (pour Pile de Proverbes de C. Kaïteris)
Jour­nal d’Ovaine, L’Atelier de l’Agneau, 2011.
Trip­tyque des Abysses (dessins) ; Quatuor à fils (dessins/poèmes), L’Atelier de l’Agneau, 2011.
Volée de Plumes (dessins à 2 plumes avec Gabrielle B. Pes­li­er), L’Atelier de l’Agneau, 2013.
Trois ouvrages col­lec­tifs chez Corps Puce.
Aphon­ismes et Avis de Recherche, Flam­mar­i­on, 2013, 2015 (col­lec­tifs).
Les Farces du Squelette (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2014.L’Ivre de Bor­ds (textes de M. Mouri­er, dessins de T. Felix), Car­ac­tères, 2014.
Sorts, poèmes, Hen­ry, 2014.
Bruts de Volière (textes et dessins, avec M. Mouri­er), L’Improviste, 2015.
Zinzin de Zen (textes et pho­togra­phies), Corps Puce, 2016.
Pen­sée en herbe du XXIe siè­cle (apho­rismes de col­légiens), Corps Puce, 2016.
Obser­va­toire des extrémités du vivant (textes et pho­togra­phies), Tin­bad, 2017.
Alphabête, (dessins, poèmes et col­lages, avec Lau­re Mis­sir), Les deux Corps, 2017.
Aphon­ismes (textes et dessins), Venus d’Ailleurs, 2017.
Tarots Tarés (mini livre-boite d’artiste, 18 tarots dess­inés et écrits), Venus d’Ailleurs, 2018.
Ovaine, La Saga (con­telets) Tin­bad, 2019.
Lais­sés pour con­tes (chronique d’un quarti­er pop­u­laire), Tar­mac, 2020.
Faut une Faille (fab­rique de créa­tion), Z4 éd, 2020.
Tan­gor (poèmes et dessins), PhB éd, 2020.
Rêve ou crève (poèmes et pho­togra­phies) Tin­bad, 2022.
Les Hauts du Bouc (nou­velles), Aéthalidès, 2022.
La Forêt, une Pen­sée Brûlante (dessins et apho­rismes d’élèves de 12 ans), PhB éd., 2022.
Tes­tic­ul (par­o­dies et dessins), Tin­bad, 2023.
Gri­moire des Foudres (poésie, dessins), PhB éd. 2023

Revues

La Passe, Dias­poriques, Diérèse, Dis­so­nances, Sar­razine, Trac­­tion-Bra­bant, Comme en Poésie, Poésie Pre­mière, Con­tre-allée, Décharge, Le Grog­nard, Empreintes, L’Igloo, L’Intranquille, Ecrits du Nord, Arcane 18, L’Ampoule, Cahiers Tin­bad, Jour­nal de mes Paysages, La Moitié du Four­bi, le FPM, TK-21, Chroniques du çà et là, Apulée, Dias­poriques, LPB, EaN…

CD 

- Je, îl(e) déserte, prod. L’Usine à Mus­es, 2011 : 16, rue des Ursu­lines, 93200 Saint-Denis. Itv oniriques de six poètes (Jude Sté­fan, Mau­rice Mouri­er, Samy Abde­laz­im, Dis­mas Clapi­er, Philippe Blondeau, Ivar Ch’Vavar). Musique orig­i­nale de Lau­rent Noël.

- La Mort se fait la belle, avec Arsène Tryphon, des et aux éd. Venus d’ailleurs, 2021.

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Alain Nouvel

1998, pre­mier recueil de poèmes : Trois noms her­maph­ro­dites, puis deux nou­velles : Octave Lamiel, dépuceleur suivi de Edouard et Alfred au val de l’eau. En 1999, suiv­ent His­toires d’ISLES, Con­tre-Voix, Mots ani­més recueil d’aphorismes, et, en 2000, Maux ani­maux, recueil de six nou­velles, aux édi­tions « L’Instant per­pétuel ». En 2001, pub­li­ca­tion aux édi­tions « La Chimère » créées pour l’occasion de D’Etrangère, puis Dames des trois douleurs en 2004, Vari­a­tions sur une femme don­née, et reprise en 2005, Con­tre-voies en 2008 et Nou­velles d’Eurasie en 2009. En 2014, il com­pose avec sa com­pagne des chan­sons qu’ils inter­prè­tent tous deux. Maud Leroy des « Édi­tions des Lisières », pub­lie Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest, un recueil de sept nou­velles sur les Baron­nies provençales où il vit désor­mais. Une suite à ces sept nou­velles voit ensuite le jour avec pour titre Anton. Sur les bor­ds de l’Empire du milieu (texte sur la Chine où A. Nou­v­el a vécu qua­tre ans, de 1981 à 1985, longtemps resté inédit mais dont cer­tains extraits étaient parus dans la revue « Corps écrit », numéro 25, de mars 1988 : Vues de Chine), paraît pour la fête du Print­emps 2021. Les deux ouvrages aux édi­tions « La Chimère ». Il col­la­bore régulière­ment, désor­mais, à la revue « Recours au poème ». En 2020, les édi­tions « La Cen­tau­rée » à Rennes, ont pub­lié un pre­mier recueil : Pas de rampe à la nuit ? suivi, en 2021 de Comme un chant d’oubliée.

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