Trois poèmes cubistes
traduction Marilyne Bertoncini
ENNUI CUBISTE
Des pans rectangulaires de murs blanchis s'entre-saluent,
déploient leurs flancs crénelés, bosquet d'albâtre
s'étirant vers le ciel à travers une autre surface blanche,
vaste et multipliée par un calme indivis,
dalles sans couleur d'une trame assommante,
et nulle part je ne vois le visage du temps,
ni trace de mouvement, ni goutte ni couche,
rien ne rappelle qu'il n'y a rien à rappeler
et rien ne peut apparaître en carrés auxiliaires,
bourdonnement décoloré qui se scinde,
aplanis à l'intouchable, chiffres sans courbes,
l'un après l'autre, l'un après l'autre.
Rien ne bouge, rien d'autre n'existe en dehors
d'innombrables et mornes formes brisées.
*
PEUR CUBISTE
Emergeant de zones de noirceur
têtes et corps bruts trimballent leurs habits
sur des épaules suspendues juste à côté d'elles,
souffle d'une menace qui rode à travers les rayons des lampadaires,
les yeux clignotants des chats de gouttière brodent d'autres ombres
traquant la lumière qui fige, se brise, s'élance.
Des sirènes rectangulaires braillent, puis passent dans le silence,
passent en cris d'adieu sans bouche virant gris et fragiles,
des triades hantées grimacent, effrayées de plonger dans un abîme brun
de magazines collés, de posters et bandes de parchemin.
Le Golem est une lettre A qui réduit en poussière les autres lettres ,
la poussière est un golem se cachant à lui-même dans des carrés,
toute couleur imaginable révèle par éclairs l'effroi d'une suffocation,
révèle par éclairs d'effrayants inconnus mortellement lugubres.
*
MERVEILLE CUBISTE
Elle dure une seconde, cette merveilleuse secousse
quand les yeux se rebellent contre le microscope
et partagent une parcelle de temps et d'espace,
partagent supris des trapézoïdes de joie
rassemblant les choses, séparant les plans :
bleus et verts se coupent au hasard des angles,
des sourcils se lèvent et se courbent en arches gothiques,
des rides horizontales barrent le front,
des lèvres s'entrouvrent, des paupières s'ouvrent, la bouche se détend
en sphères et cubes de gris et rose,
collage de crémeuse étendue mystérieuse qui vous remplit
de la chaleur d'une existence flottante s'ouvrant à elle-même,
l'immensité des océans, le mouvement des étoiles,
quand des formes colorées libèrent du joug du préconçu.
*
CUBIST BOREDOM
Rectangular pieces of whitewashed wall salute themselves,
unroll their bristled flanks, grove of alabaster
stretching skyward through another plane of white,
wide and multiplied by undivided stillness,
colorless slabs of tedious ticking,
and nowhere do I see a face of time,
a trace of movement, drip or list,
no reminder there is nothing to remember
and nothing can appear as sideways squares unfolded,
bleached-out hum that parcels self,
untouchably flattened, curveless ciphers,
one after another, one after another.
Nothing moves, nothing else exists outside
of countless dreary, broken forms.
*
CUBIST FEAR
Emerging from patches of blackness
brutal heads and bodies lug their clothes
on shoulders hanging sideways next to them,
rambling menace blown through streetlamp streaks,
the blinking eyes of feral cats embroider other shadows
stalking light that freezes, splinters, soars.
Rectangular sirens blare, then fade to silence, fade to
shouting mouthless goodbyes turning gray and brittle,
haunted triads wince, afraid to delve a brown abyss
of pasted magazines, of posters, strips of parchment.
Golem is a letter A that crushes other letters into dust,
the dust is golem hiding from itself in squares,
every color I can think of flashes dreaded choking,
flashes ghastly chilling deadly bleak unknowns.
*
CUBIST WONDER
It lasts a second, this wondrous jolt
when eyes rebel against the binocular
and share a piece of time with space,
share astonished trapezoids of joy
pushing things together, pulling planes apart:
blues and greens intersect at random angles,
eyebrows raise and curve like Gothic arches,
horizontal wrinkles cross the forehead,
lips are parting, eyelids open, mouth goes slack
in spheres and cubes of gray and pink,
collage of creamy Delphic space that fills you
with the warmth of fleet existence opened to itself,
the vastness of the oceans, the movement of the stars,
as colored shapes unshackle from the preconceived.
*
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