Trois poètes et leurs territoires : 3 — Serge Prioul et l’appel de l’ailleurs

C’est à travers tes Carnets du Barroso, paru en 2014 aux éditions Vagamundo. avec un avant-propos de Sylvie Durbec que j’ai découvert ton attachement à ce territoire particulier  qui t’inspire de beaux textes et pour lequel tu utilises de magnifiques photos.
Comment as-tu rencontré ce Pays d’au-delà des monts (que mon clavier insiste à écrire « au-delà des mots » !) qu’est-ce qui t’y attire – depuis combien de temps est-il source de création pour toi ?
Impossible pour moi d'évoquer le Portugal sans associer à cela ma femme Régine, et même la notion de famille, tant le Beau-Pays, comme l'appelle mon ami le photographe Gérard Fourel, découvert en 1995, a finalement pris de place dans notre histoire.
Depuis cette date, presque chaque année, grâce à un camping-car, attirés et retenus par une certaine notion de liberté qu'il nous proposait, nous avons sillonné ce pays, à la découverte des lieux, des gens, et des coutumes.
Fils de tailleur de pierre Breton, pratiquant quelque peu moi-même, ces montagnes et ces villages de granit m'émerveillaient au possible.
En 2011, dans le village de Negrões, presqu'île au bord d'un grand Lac (je tiens à la majuscule) nous avons acheté une vieille maison qu'il faut toujours restaurer. Pied à terre pour continuer à battre les chemins du Trás-os-Montes, ce pays d'au-delà-des monts.
Depuis longtemps, amoureux de l'écriture, comme remède à bien des maux passés, c'est dans cette maison et ces voyages - parfois autour de la chambre - que j'ai vraiment satisfait ma passion pour les mots. Trouvé l'inspiration, et j'oserais dire la respiration, puisque c'est d'un dépaysement calme dont j'ai vraiment besoin, chaque matin, pour écouter ma plume.
Sous la chandelle - puisque l'électricité n'était pas encore de l'aventure - c'est dans cette maison que pendant l'hiver 2013 j'ai écrit mon premier recueil Carnets du Barroso, une histoire simple autour de nos rencontres dans cette région isolée des montagnes du nord.
Comment cela se passe-t-il : est-ce que tu prends des notes –des photos – est-ce que tu écris dans le paysage, ou bien plus tard, en rentrant en France ? Pour qui écris-tu ces textes ou dans quel but ? Quel lien essentiel se tisse entre ce territoire et toi ?
Chaque matin, principalement dans le camping-car, j'écris donc, l'aventure de la veille, au style de l'heure - si j'ose dire. Ici ou là, hasards de la route, sans trop de concessions à la modernité : pas d'Internet ni d'ordinateur, jamais de campings, juste bivouacs au bord des villages. L'été comme en plus.
J'aime beaucoup prendre des photos, des pierres certes, mais aussi des gens parmi les gestes et les pierres justement. Photos avec l'appareil, évidemment, mais aussi au-travers du poème. Brouillons de textes, dirons-nous, mais en sachant bien qu'un poème n'est jamais vraiment fini. Les carnets de l'été s'emplissent et s'entassent J'y reviens seulement au calme des retours et de la table d'écriture. En Bretagne. Autre pays de granit. D'une vieille maison à une autre. Lieu où poser la pensée et chercher le mot juste.
Pourtant mon credo n'est pas d'écrire mais de vivre. Pleinement. L'écriture venant après. Il est même rare que je prenne une note sur le terrain. Seule exception, il y a quelques temps, avec des poèmes ébauchés, autour du mur, pour un recueil ayant trait au travail manuel, avec la présence d'un certain Thierry Metz dont le parcours est si proche du mien - et pourtant si différent.
Ainsi j'écris en écho à d'autres poètes - j'aime prolonger le poème, ai-je coutume de dire. Miguel Torga sur mes chemins Portugais, Thierry Metz dans la poussière, François Villon dans la joie de la langue. Et tant d'autres, évidemment. Anciens et modernes.
Ma femme, comme sur notre chemin, est omniprésente dans mes poèmes. Elle dort là, tout près, tandis que j'écris, et n'est-ce pas l'essentiel pour tenir calmement la plume en regardant la lampe !
Alors, j'essaie d'écrire, au plus près de mon ressenti. Dans l'épurement d'une langue découverte principalement dans les livres et bien peu sur les bancs des écoles.  Allé s’en est, et je demeure, /Povre de sens et de savoir… Le Portugal, ses gens, ses scènes… comme compagnons. Régine, ma femme. Ma vie, qu'il faut dire, mais pas trop - j'ai beau avoir du ventre, j'ai horreur des nombrils !
Ecrire encore sur les routes de France. Devant la Loire, devant la mer, la montagne, dans la lumière d'une terrasse de café aussi.
Regarder. Voilà bien ce qu'il faut. Les mots sont quelque part entre les choses et soi.  
Le Portugal donc, pays connu et aimé, comme tout lieu au regard de l'écrivain voyageur mais aussi un prétexte à l'essentiel : vivre et l'écrire.

 

 

3 extraits des Carnets du Barroso, et des inédits

 

photos de l'auteur

 

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Cet œil noir et mouvant de la chandelle

Où on ne peut plus lire

Plus écrire

Trop près dans l’ombre d’elle-même

J’ai failli écrire chapelle

Chapelle chandelle

Lieux d’ombre et de lumière

 

Tirer un trait comme finit le poème

Cette illusion de croire qu’on passe à autre chose

Intérieur extérieur

La chandelle

Le Lac

Soirs et matins

 

Les villages du Barroso

 

Une jeune femme entrevue hier dimanche

Qui gardait ses chèvres

 

Ces trois hommes

Commis de ferme

Comment dit-on dans le Trás os Montes 

Pas sortis d’un Moyen-Âge

Dans l’euphorie alcoolique du dimanche

Celui-là lorgnait la femme qui passait

L’autre aux rastas parlait à un chien libre qui lui répondait

Dans les nuages de décembre

A Peirezes sur les pavés du village puis la route qui continue vers Montalegre

 

Nous allons marcher jusqu’à Vilarinho de Negrões 

Dit la jolie femme de Morgade que nous connaissons

Elle travaille à la douane

Le dimanche elle se promène

Dans la montagne ou sur les bords du Lac
Sa vie est dans notre poème

Et lui passe

Comme l’ombre d’un grand aigle

Sur la Serra de Larouco

Extrait des Carnets du Barroso - éditions Vagamundo - 2014

 

 

 

 

Ne jamais rien faire comme les autres en art 

en morale faire comme tout le monde 

Dit Jules Renard avec son cynisme habituel

Mais l’écrire Monsieur Jules c’est déjà ne plus être tout le monde

Jules Renard aligné sur la morale

Tant que sa femme brûlera son journal 

Je prends une photo de ma table de travail 

Qu’éclaire donc cette chandelle 

Un livre ouvert

Deux carnets un de notes un de poèmes

Et puis les bols du petit déjeuner

Le lait le miel du Barroso

Rien de plus sur mon envie d'écriture

Que cette femme qui dort

Si présente dans tout ce que je lis

Comme la Marinette de Jules

Si toujours là dans tout ce que je vis

Nous vivons deux

Nous poursuivons cette vie

Vie d’aventure

Et le mot est au singulier

L’aventure d’une table d’écriture

Et d’un vieil amour

Dans le Trás os Montes

 

Extrait des Carnets du Barroso - éditions Vagamundo – 2014

 

Deuxième jour de l’an

Est-ce que se lever aux aurores voudrait aussi dire qu’on est neuf 

Allumer les chandelles de la chambre

Les murs ont été montés avec les granits des champs

Et presque tous les champs sont devenus le Lac

Le Lac est-il devenu notre Lac 

On ne s’approprie rien

Mais les choses nous viennent

Pourvu qu’on les aime

Nous aimons le Lac

Les granits

Les murs des maisons

Les sources nous traversent 

Un ruisseau rapide longe la maison

Tout d’un coup

Surtout l’été

Il s’arrête de couler 

Les villageois de Negrões retiennent l’eau dans la montagne

Nous ne savons pas trop où

C’est le monde de la montagne

Les mystères de pauvres du Trás os Montes

Heureux déjà que nous accueillent à boire

L’eau des fontaines

Les loups du Barroso

 

Extrait des Carnets du Barroso - éditions Vagamundo - 2014

 

Comme si c'était un jeu

de retrouver des pas laissés

sur le sable mouillé

en revenant sur soi

à partir du poids

très léger de la vie*

 

Être là

En être là

Les traces d'hier pour aujourd'hui

Traces à mener

A demain mener

Moveros est un village frontalier

Le dernier de l'Espagne avant le Beau Pays

Les gens dehors nous regardent passer

Un soir de juin un gros camping-car

Dessinés les chevaux galopant du voyage

Il faut bien cela pour commencer

Celui de cette année

Pour qui sommes-nous

D'un soir les chevaux sauvages ?

Ici on vend des poteries colorées

Des personnages peints

Des animaux de toute sorte

Des vaches de race rigolote

Portant des amphores des temps anciens

Imaginaire au pas

Où était le bonheur

A peine encore dans la trace d'un soir

Pour nous harnachés

Les petits ânes

Retrouvés

 

* Tout cela  - François de Cornière

 

Vila Chã da Ribiera - 23 juin 2022 (inédit)

 

 

Hier soir Izilda râlait

Après les chiens de José Abilio

Qui toute la nuit ont hurlé

José argumentait qu'ils n'avaient pas commencé

Juste répondu

A celui du village qui traînait dans la nuit

Et qu'il n'y pouvait rien

Puis elle continuait

- à cela l'aidait un peu le vin du Douro -

Après ces fichus coqs de Darida

Qui à cinq heures ont pris le relais

En forme oui et en cœur

Treize insistait-elle treize

Et Darida dans l'été et la retenue d'un sourire

Rectifiait

Onze

     onze coqs

                            j'ai seulement onze coqs

 

                            Vila Chã da Ribiera - 26 juillet 2022 (inédit)

 

Des Portugais se sont arrêtés tout à l'heure

Etonnés de me voir là

Tailler le granit

Massette et ciseau en main

Comme autrefois

J'ai dit j'étais maçon et tailleur de pierre

                                                    ajouté plus bas

                                                                            poète

Ils ont parlé du calme du village

Et du silence matinal

J'entends moi le chant des coqs

Le carillon régulier des vaches

Les cris clairs des arrosages de six heures

Et surtout le soir

     ai-je ajouté

                la voix du grand Lac

En regardant vers l'église

Les gens ont continué sans tout comprendre

De cette histoire de cloches et de Lac qui parle

Les outils posés

La pierre scellée

Les mains caressant le sable arraché lavées au ruisseau

Des mots entendus

C'était l'heure

                            Sont venus

                            22 juillet 2014 - 25 avril 2020 (inédit)

 

 

Retour à Negrões

Le Lac est partout

La chandelle est bleue

La poule de l'enfant trempe son granit dans l’eau

J’avais oublié que la maison avait cette odeur

C’est celle de notre hiver

L’odeur des Carnets du Barroso

Je viens de poser le manuscrit sur la table

C’est un retour

Il y a cette joie dans les retours

Comme celle

pas plus

de l’aube

C’est vrai

     Maintenant

Nous avions laissé là

     Du bonheur

Retrouver les riens dans les corbeilles de terre

Ranger les fruits comme la rondeur du plaisir

Ah l’odeur encore

Des mouches d’été aussi visitent

Entrez la porte est toute ouverte

Et l’air du Lac

Le bleu du Lac

Entre qui veut

Je veux tout

 

Negrões - 2 juillet 2013 (inédit)