Un américain à Séville

Introduction

à The Gypsy with the Green Guitar

Laissons Manolito (décédé en 1966) reposer en paix le temps de recadrer David George face à son héros. De Manolito, (aujourd’hui reconnu grand parmi les grands par les connaisseurs) ce cantaor qui n’a laissé son sillon sur aucun vinyle (1), David George a voulu faire un mythe en lui dédiant des centaines de sonnets. Outre la superbe photographie de George Krause en quatrième de couverture du Flamenco Project de Steve Kahn, David George, autant photographe que poète, en a inclus l’image dans The Flamenco Guitar, publié en 1969 et qui reste pratiquement sa seule œuvre réellement diffusée. À la différence de bien d’autres, restées dans ses cartons, imprimées ou pas, ou encore publiées sans réelle diffusion, comme le recueil de poèmes Things of the Sea Belong to the Sea (2007).

© George Krause

En 2013, j’ai découvert Manolito cité en référence dans Manuel el Negro, de David Fauquemberg, en compagnie du guitariste de Morón Diego del Gastor (décédé en 1973) et des autres cantaores de l’époque, Antonio Mairena et Juan Talega. Dans ce chef d’œuvre d’écriture dédié aux Gitans de Jerez, la présence répétée de ces Flamencos, pourtant originaires de l’est de Séville, témoigne de leur importance.

Ces derniers Mohicans, ainsi que le danseur El Farruco et les sœurs Fernanda et Bernarda d’Utrera, illuminent le crépuscule l’époque du flamenco puro, compensé par le lever de deux étoiles de toute première grandeur : la danseuse et chorégraphe Cristina Hoyos et le guitariste Paco de Lucía.

Il faut aussi mentionner le rôle majeur joué par le mécène américain Donn Pohren, membre de l’académie flamenca de Jerez et auteur d’ouvrages majeurs, qui, d’abord dans son tablao madrilène Los Gabrieles, puis dans sa finca Espartero de Morón, entretint la flamme et la nourrit au sein d’une communauté de riches  américain(e)s expatrié(e)s et déjanté(e)s. Si, sur la fin de sa vie, comme en témoigne David George, Manolito s’est produit à Madrid, il n’a guère eu le temps de le faire à Morón, fief de Diego.

Une trentaine d’années après, David George a utilisé le décor des moulins à blé d’Alcalà, sur le rio Gudaíra (la cathédrale verte) au pied de la citadelle mauresque, pour broder sur le personnage et choisir, dans les sonnets, de se fondre dans le paysage en s’y imaginant peintre et locataire (fictif) d’un autre moulin-atelier.

Cette atmosphère se retrouve dans ce qui va suivre, composé de contributions fragmentaires (préface, introduction et commentaires) choisies par David George pour figurer dans son ouvrage mort-né : The Gypsy with the Green Guitar. Contemporain et peut-être même prédécesseur de The Flamenco Guitar, datant de bien avant les sonnets, elles nous aident à mieux comprendre  ce qui, à l’époque des faits, ou immédiatement après, inspira David George.

 

  Dans la prochaine livraison, nous replacerons cette banlieue de Séville dans son contexte  historique, littéraire et artistique : ne se dit-elle pas « Le Barbizon » andalou ? Par la suite, nous nous acheminerons vers la résurrection de Manolito avant de tirer le bouquet final.

 

Laissez-vous porter et découvrez.

 

Le Gitan à la guitare verte

Ce texte met en scène un jeune Gitan, personnage de fiction, Currito ; une danseuse de flamenco décédée dans un accident de la route, Dolores Molinos (non identifiée) mentionnée surtout dans les sonnets et dont on mentionne un portrait par le matador et peintre américain John Fulton, dont le musée est toujours visible à Séville (non visité) dans le barrio de Santa Cruz ; un jésuite, personnage bien réel lui aussi, le Dr Delgado. Il fait appel au fond poétique qui relie les Gitans à l’Espagne, par l’intermédiaire, entre autres, de Federico García Lorca ; il implique le grand mécène et spécialiste américain du flamenco, Donn Pohren, sans qui rien n’aurait pu être.

Je ne dispose que d’une ébauche de préface dactylographiée, en deux parties, sans signature, et agrémentée de notes de fin de textes manquantes. Faute d’avoir pu en obtenir le texte complet([1]), en voici la traduction, à lire entre les lignes.

Faute aussi d’indications adéquates et outre la notice du Dr Delgado, ci-dessous introduite, nous ne pouvons que conjecturer sur le pourquoi de cette couleur pour le moins inhabituelle, lorsqu’il s’agit d’un instrument flamenco. Le choix se partage entre :

 

a) Pour le jeune Gitan et sa guitare : le sens de « green » = apprenti, débutant, jeune pur et naïf. Mais il y a aussi les couleurs de l’Andalousie, non officielles encore dans les années soixante : deux bandes horizontales vert ommeyade et une bande centrale blanche.

b) Pour la cathédrale : le chant de scouts et mouvements de jeunesse à caractère religieux « I know a green cathedral », en vogue à cette époque et lié à des projets à caractère religieux ou para-religieux : cela pourrait évoquer les nuits de juerga passées à Alcalá sous la haute voûte des eucalyptus, près des anciens moulins sur les rives du Rίo Guadaíra, et éclairer la face mystique de David George (à laquelle nous consacrerons un épisode entier) :

Alcala Moulin San Juan

I know a green cathedral, a hollowed forest shrine,
Where trees in love join hands above to arch your prayer and mine.
In my dear green cathedral there is a quiet seat
And choir loft in branched croft where songs of birds hymn sweet.
And I like to think at evening when the stars its arches light
That my Lord and God treads its hallowed sod in the cool, calm peace of night.

Je sais une verte cathédrale, sanctuaire au creux des grands bois,
Où des arbres mains jointes dans l’amour, l’arche lance ta prière et la mienne.
Au tréfonds de sa fraîcheur sacrée, soupire le cèdre hiératique,
Le pin et le sapin tendent des bras divins jusque dans l’azu
Dans le vert de ma cathédrale aimée, la chaire est de silence,
Dans ses frondaisons, du chœur des oiseaux, montent de douces antiennes.
Et à la brune, j’aime à penser, sous ses voutes constellées,
Que mon Seigneur et Dieu foule sa glèbe bénie dans la paisible et nocturne fraîcheur.

 

 

c) Pour les symboles, et c’est peut-être la clef : la référence à « Romance Sonámbulo », poème de Lorca devenu culte, au point que Carlos Saura s’en est servi pour le final (en rumba) de  Flamenco (1995) ainsi que pour l’ouverture et le final de son non moins somptueux Flamenco Flamenco, de 2011. Le vert de la vie et de la mort, allié et opposé au rouge du sang, leur ouvre grand la porte :

 

 

Verde que te quiero verde.
Verde viento. Verdes ramas.
El barco sobre la mar
y el caballo en la montaña.
Con la sombra en la cintura
ella sueña en su baranda,
verde carne, pelo verde,
con ojos de frίa plata.
Verde que te quiero verde.
Bajo la luna gitana,
las cosas la están mirando
Y ella non puede mirarlas…

 

Lorca et ce poème ont donné lieu à une incroyablement prolifique descendance sous la forme d’innombrables poèmes chantés, ou non, intitulés Ojos Verdes. Le premier, qui narre la rencontre d’un caballero et d’une fille de joie gitane, date de 1937. C’est devenu l’un des airs andalous les plus emblématiques. Nat King Cole s’en est emparé. Il se danse en trajeet  bata de cola. Voici le second couplet :

Ojos verdes,
verdes como,
la albahaca.
Verdes como el trigo verde
y el verde, verde limón.
Ojos verdes, verdes
con brillo de faca
que se han clavado en mi corazón.
Pa mí ya no hay soles,
luceros, ni luna,
No hay más que unos ojos que mi vida son([1]).

 

 

 

Citons, entre autres la célèbre Romance de los ojos verdes du Sévillan Rafael de Leόn (1908-1982) que disait en scène Lola Florès avec tout le panache qu’on lui connaît et dont voici les premiers vers et le final :

 

“-¿De dόnde vienes tan tarde ?
¡Dime, di! ¿De dόnde vienes?
-Vengo de ver unos ojos
El sueño juega y se esconde
en la plaza de mi frente;
cabaldo por la ojeras
de unos ojos en relieve….

  …Si no me traes sus ojos,
¡dile que venga la muerte!”

 

 

moulin Benarosa

Il faut aussi mentionner, source possible à divers titres, le tableau de Picasso (1903)  Le vieux guitariste aveugle, qui a inspiré un long poème à Wallace Stevens en 1936, intitulé « The Man With the Blue Guitar » dont voici le début :

The man bent over his guitar,
A shearsman of sorts. The day was green

They said, “You have a blue guitar
You do not play things as they are.”

The man replied, “Things as they are
Are changed upon the blue guitar.”

And they said then, “But play, you must,
A tune beyond us, yet ourselves,

A tune upon the blue guitar
Or things exactly as they are.”

 

Rien, nulle part, n’indique que David George se soit inspiré de tel ou telle, mais il faut reconnaître que le rapprochement est troublant ([1]).

 

 

 

<<En 1969, la Society of Spanish Studies a publié The Flamenco Guitar de David George : « De grande qualité et bien documenté, cet apport fait autorité. » C’est le seul ouvrage, en quelque langue que ce soit, qui traite de la guitare flamenco sous tous ses aspects. C’est le premier qui aborde les Gitans sous l’angle de la guitare. The Flamenco Guitar a immédiatement été salué non seulement à cause de la maîtrise de tous les aspects du sujet dont il témoigne, mais aussi pour son honnêteté rare et la profondeur des sentiments exprimés. Dans l’atelier cordouan du maître luthier Manuel Reyes, nous avons appris comment on fabrique une guitare, « de l’arbre au produit fini ». Dans les décors naturels du flamenco gitan, nous avons rencontré des guitaristes gitans qui nous ont dit comment ils concevaient le rôle et la fonction de la guitare flamenco. Citons Martha Nelson dans The Guitar Review : « David George, en observateur exercé, aborde, outre la musique et la danse, d’autres facettes des coutumes indigènes de l’Andalousie gitane : le folklore, la poésie et l’artisanat. » Par conséquent, « The Flamenco Guitar, From Its Birth in the Hands of the Guitarrero to Its Ultimate Celebration in the Hands of the Flamenco Guitarist, a été un apport majeur non seulement pour l’aficionado de guitare mais aussi pour l’ethnologue qui s’intéresse à la culture espagnole. »

 Dans sa préface à The Flamenco Guitar, pages ii et iii, datée de Londres, 1969, Rosa de Agüera (non retrouvée) reprend cet argument et écrit ces lignes que je résume : « Dans The Gypsy with the Green Guitar, le flamenco, le flamenco gitan et l’existence picaresque de « Currito », jeune guitariste élevé chez les Flamencos d’Andalousie, distinguent cet ouvrage de son pendant : The Flamenco Guitar. Dans The Gypsy with the Green Guitar, les pensées et émotions les plus intimes de Currito nous sont présentées grâce à l’exercice expert et généreux d’une technique poétique qui aboutit à un genre que l’on peut qualifier d’ethnique, fraiche et authentique parce qu’elle fait passer en anglais le rythme même du flamenco que Lorca rend en espagnol mais que perdent les traducteurs. » :

Crois-tu qu’être gitan
Ça s’en va comme on nettoierait
Une tache noire ?

Ma grand-mère était gitane.
Gitana negra.
Elle me crie dans les veines
Comme la tribu tout entière.

 

 

La Acena

Selon D.E. Pohren, repris par Agüera : « David George est certes un chercheur rigoureux, mais c’est avant tout un poète. Il s’intéresse essentiellement au cœur––  au cœur du guitariste, du luthier, et même à celui de la guitare…en flamenco, le cœur c’est ce qui distingue la grandeur de la bonté. » Au cœur de ce livre, comme il faut s’y attendre, les Gitans sont des portraits vivants. Ils suivent la Vierge des Gitans dans les rues de Séville et lancent d’antiques saetas tandis que Marie, belle, sombre, et gitane, passe en silence le cœur percé d’une « flèche ».

 

Les trompettes se taisent.
Les tambours.

Un gitan se gonfle les poumons.
La flèche d’un chant
Est décochée par-dessus la foule…

La voix du Gitan est sanglot.
Il a une flèche dans le cœur.
La foule garde le silence.

Ô, Marie, Mère du Christ… 

 

« Ils maquignonnent à la foire aux chevaux des Gitans de Triana, selon une tradition séculaire. Le livre est traversé par Currito en qui s’incarne l’auteur et qui gratte sa guitare. »

 

Ma guitare est fatiguée, usée
Comme une belle femme
Qui a beaucoup peiné
Elle a connu la caresse des Gitans.
Des amants
Aux longs doigts.

 

« David George, qui connaît en profondeur le Gitan andalou et son art, est le seul qui soit capable d’écrire un livre d’une telle qualité et d’une telle acuité. Et parce que David George est avant tout poète, » il n’y a rien de plus normal que de voir sa profonde connaissance, son honnêteté rare et la profondeur des sentiments exprimés se manifester dans ces poèmes. Le Dr Delgado(5) écrit dans son Introduction : « La guitare verte, dans cet ouvrage, est une guitare sans oripeaux. Elle joue les mystères de verts silences. Parce que le poète perçoit ces choses-là, et parce que c’est un bon chanteur, il n’a pas eu d’autre choix que de dépouiller sa guitare et de chanter. »

Comment un poète, né et élevé en Amérique, dont la langue natale est l’anglais, peut-il percevoir « les mystères des verts silences », spécialité andalouse ? Comment peut-il entrer dans les pensées et sentiments les plus intimes d’un jeune gitan et, de fait, sonder la psychologie d’une subculture difficilement pénétrable ? Si le jeune garçon était andalou, sans être gitan, ce serait déjà difficile. Mais voir par les yeux d’un jeune gitan, parler comme lui, chanter comme lui ses pensées et sentiments les plus intimes, relève de l’impossible. C’est ce que dit le Dr Delgado : « J’ai commencé par avoir des doutes à la lecture de ce livre, mais la curiosité l’a emporté et j’en suis resté pantois. Je n’aurais jamais cru qu’un non-Andalou pouvait pénétrer l’âme andalouse. » Et c’est ce qu’a dit Juan Gomez Amaya(6), lui-même jeune guitariste gitan et poète de Morón de la Frontera lorsqu’il a entendu ces poèmes en espagnol : « Incroyable. Authentiquement gitan. Des sons noirs qui descendent profond. » Comme le jeune Gitan le dit lui-même dans le poème intitulé « Le dîner d’adieu » : « Ce n’est pas facile d’être pauvre et gitan./Il faut une dose de simplicité./Et d’esprit. » C’est déjà difficile pour un poète espagnol, même né en Andalousie, d’écrire sur le Gitan andalou. Le grand guitariste gitan Diego del Gastor s’étonnait, parlant de cette question, qu’un poète espagnol de Grenade fût capable d’écrire sur le Gitan et le flamenco : « Je n’en reviens pas que Lorca, qui n’est pas gitan, qui ne vient pas de Basse Andalousie, puisse comprendre le flamenco et le mettre en paroles… Ce n’est pas rien, pour quelqu’un qui n’est pas originaire de Basse Andalousie, qui n’est pas gitan et qui n’est pas guitariste, de comprendre la guitare comme ça. » Par la suite, Diego a proposé une explication qui pourrait s’appliquer à David George : « Bien sûr, il a passé pas mal de temps chez les Gitans. C’est pourquoi ses vers sont si profonds. Peut-être qu’il était de notre sang. En tout cas, c’était un grand poète. Une exception. Une énigme. 

Et pleuré.

 

Il est vrai que Federico García Lorca, sans connaître l’anglais a été capable, dans La Poeta in Nueva York, de sonder le cœur de Harlem lorsqu’il y s’y est rendu. Mais Lorca n’essaie pas de parler par la bouche d’un jeune musicien de Harlem. C’est presque trop demander à un poète, n’importe lequel. D’autres poètes se sont essayés, de temps en temps, à parler par la bouche d’un personnage, mais le faire dans un livre entier est, à ma connaissance, un fait sans précédent. Et c’est exactement cet impossible que David George a réussi. Comme Diego le déclarait : « C’est une énigme. »

Un moyen qu’utilise notre auteur pour continuer à parler ainsi est le recours au récit. Ce n’est pas par accident qu’il divise le livre en Chapitres et Versets(7). Chaque chapitre relate une histoire ou développe un thème, chaque poème ou verset fait partie intégrante du chapitre en question.

Le Guadaira

Et pourtant chacun des poèmes ou « versets » comme il préfère les nommer, est une entité à part entière. De plus, la structure Chapitre et Verset semble indiquer que l’auteur a conçu le livre comme devant être lu suivant son déroulement chronologique, du début à la fin. Il en résulte une poésie narrative à la Chaucer : un récit d’aventure en vers. Mais des sens profonds remontent au jour dans ce pèlerinage d’un jeune Gitan au fond de lui-même qui commence à sa naissance :

 

Ma mère était gitane.
Mon père était tambour.
Ils se sont connus dans la nuit.
Ils m’ont fait.

Et se termine dans la mort :                                         

Dolores Molinos est morte. 
Elle est morte dans une cathédrale verte,
Où les rameaux
Font voûte sur le chemin.

 

Alcala Rives du Guadaira

Et allant là où peut aller la poésie nous pénétrons l’âme de l’Andalousie.

David George va chez les Gitans eux-mêmes chercher l’authentique, l’inspiration, l’ange, le duende, la réalité finale qui ne se trouve ni dans les livres, ni dans les amphithéâtres, ni dans les salas de fiesta. Il sait ce que sait Lorca : lorsque « la Vierge et saint Joseph perdent leurs castagnettes, ils vont en quête des Gitans pour les retrouver. » Il va voir les Heredia, les Montoya, les Amaya, « les Gitans de bronze et de rêve, [qui] naviguent en eau profonde au moyen de leur guitare. Lorsque l’auteur veut se renseigner sur le cante gitano, il se rend aux grottes d’Alcalá où « commence le lamento de la guitare, » où la nuit trempe dans le silence, les soleares, et la mort. Là, au milieu des Gitans, au fond des grottes sous les murailles, il s’établit(8) et découvre le sentiment et la vérité qu’il exprime dans « Out of the Mouth of Manolito –– le flamenco gitan ».

La signification profonde de ce livre réside dans son approche nouvelle et authentique. Chapitre et Versets, illustrations et photographies, coplas et prose, sont indissociables comme un gaspacho andalou ou, plus précisément, comme l’une de ces potées gitanes qui mijotent sur un feu de camp et d’où s’exhalent les senteurs exotiques d’une douzaine d’ingrédients peu communs. L’auteur nous concocte un authentique geribao gitan, un pot-pourri qui n’est pas sans rappeler le cante por fiestas où tout dure tant qu’il y a ange et duende. L’ange, c’est l’esprit, mais le duende va plus profond. On le trouve dans le cante hondo, le cante por soleares de Manolito el de María, dans le toque por bulerías de Diego del Gastor, dans le baile por martinete d’Antonio Montoya.

Après que d’autres livres sur la guitare et le guitariste flamenco auront été écrits, cet ouvrage restera unique en son genre. On se souviendra toujours, car rien de son sens ne se perdra, de la voix du jeune Gitan conservée dans ces poèmes ––de son ange et de son duende, de sa vie et de sa pensée–– picaresques et fantasques, subtiles et durables. Car, ainsi que le fait remarquer l’auteur dans son ouvrage : « Les paroles et la pensée du Gitan andalou sont plus poétiques que prosaïques ; le poétique étant l’aspect le plus important de la mise en paroles de son existence. » La nouveauté et l’authenticité, ici, résident dans le langage extrêmement poétique du Gitan Andalou que l’auteur a su rendre si miraculeusement. Il a rendu en anglais ce rythme du flamenco que Lorca a fait passer en espagnol, mais que la traduction tue.

Avec le plaisir de baptiser et de despedir  etc.>>

**

Cette introduction anonyme est suivie d’une table des illustrations qui éclaire cet ouvrage précédée d’une notice sur John Fulton. Les voici :

<<Les treize dessins qui illustrent ce livre ont été faits tout spécialement pour cette édition par l’artiste et matador américain John Fulton, qui s’est établi à Séville et connaît l’Andalousie comme un Andalou.

John Fulton, selon James A. Michener, « est un séduisant jeune homme réellement doué pour la tauromachie. Ernest Hemingway a vanté son travail. Mais c’est aussi un artiste de grand talent, doué pour la plume, le dessin et l’huile. »

 

John Marks, auteur de To the Bullfight, a dit de lui : « Fulton, mène de front ses deux passions très facilement comme si c’était la chose la plus naturelle du monde pour un gamin de Philadelphie de toréer que pour un matador d’être un grand artiste, une fois sorti des arènes. Ce n’est pas seulement impressionnant, c’est un phénomène extraordinaire. Un génie, et pas le moindre : Belmonte, a approuvé sa façon de toréer. Ses dessins n’ont pas besoin d’interprète. » 

Le 18 juillet 1963, aux arènes de Séville (La Real Maestranza), John Fulton devient le premier (et le seul) Américain à recevoir en Espagne le titre le plus élevé dans la tauromachie : celui de matador de toros. Ce jour là, Fulton tue l’un des plus gros taureaux jamais affronté à Séville depuis des années. Le New York Times qualifie l’exploit de « remarquables débuts » pour un matador. Depuis, il a reçu confirmation de son « alternative » à Madrid, a toréé dans les plus grandes arènes espagnoles, au Mexique (dans la même cuadrilla qu’El Cordobés) et, tout récemment, aux États-Unis(9)

 

Moulin La Veuve

En tant qu’artiste, Fulton est surtout connu pour ses tableaux taurins dans lesquels il n’utilise comme pigment que du sang de taureau, à la manière des artistes-chasseurs de l’Espagne paléolithique qui se servaient du sang du taureau tué pour reproduire des scènes de chasse sur les parois de leurs cavernes. Ses tableaux figurent dans de nombreuses collections publiques et privées.

L’auteur remercie John Fulton d’avoir, en dépit d’un emploi du temps tauromachique très chargé, trouvé le temps de lire et de commenter les poèmes puis de les illustrer. >>

Table des illustrations

 

I have my green guitar                                                                                                              46
My uncle gave me his green guitar                                                                                           56
Manolo is a craftsman                                                                                                               66
When I am rich and famous                                                                                                      74  
He is an old flamenco                                                                                                                80
Clouds of smoke fill the air                                                                                                       86
They leaped around the fire                                                                                                      92
They follow the dying Christ                                                                                                   128
In her patio is a fountain                                                                                                         136
There are three ways to plant the banderillas                                                                        146
Dos Ángeles                                                                                                                            152
Over the wall are the graves of the dead                                                                                160
She died in a green cathedral                                                                                                 166 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Note sur Introduction :

 

(1) Il y a bien des rapprochements à faire entre ce qui était alors en train de se passer pour le flamenco et ce qui se passait avec la musique (blues) aux U.S.A. Nicolas Béniès l’exprime parfaitement dans Le Souffle bleu  1959 : le jazz bascule, C&F éditions, Caen, 2011. Voir aussi : Miles Davis, Sketches of Spain, 1960. L’analogie Guadalquivir = Grand fleuve et Mississippi = Père des eaux est frappante.

 

Notes sur le texte :

 

(1) Un exemplaire resterait en la possession d’ayants droit non intéressés, ou est peut-être détruit ? Non communiqué. Il semble qu’un autre exemplaire soit répertorié à la Bibliothèque Nationale de Madrid, mais avec erreur sur l’auteur ( David George, mais autre patronyme).

(2) Strophe 1 de 6. Il existe plusieurs versions chantées qui diffèrent quelque peu de l’original.

(3) Pour tout savoir et entendre, voir les liens joints.

(4) Tableau et poème visibles dans  Transforming Vision-Writers on Art , The Art Institute of Chicago, 1994.

(5) Le personnage, jésuite mal en cour sous le régime franquiste, a réellement existé. Voir sonnets 156-161.

(6) Juan del Gastor, neveu de Diego ?

(7) David George rêvait-il d’écrire une autre Bible, nourrie au sein de cet autre Peuple du Livre ? Ou se voyait-il en nouveau Lorca ?

(8) Plus, ou pas encore, de moulin.

(9) John Fulton est mort à Séville le 28 février 1998.