Un Festival Permanent des Mots : entretien avec Jean-Claude Goiri
Nous écrivons pour déterritorialiser nos frontières afin de topographier nos émois parce que rencontrer l’autre, c’est se soulever tout à fait.
Je pensais faire un compte rendu de ma lecture de la revue fpm, Festival Permanent des Mots, mais ces quelques mots mis en exergue de ce périodique m’inscitent à visiter le site femepo. Quelle merveille, que de découvrir un empire sans souverain ni territoire autre que celui du monde !
La revue « Festival Permanent des Mots », pourvue d’un paratexte attractif, laisse libre cours aux auteurs publiés. Une courte biographie figure dans les dernères pages. Pas de discours critique, ni explicatif, et des rubriques qui rythment cette publication de très bonne qualité : « Permanence », en guise d'édito, « Ouverture » , un invité ou le texte le plus frappant, « Libres courts » , poèmes, « Braquages » , pour les chroniques, « De long en large », pour les nouvelles & récits, « Regards posés », qui propose de restituer les impressions que font naitre une œuvre littéraire ou plastique (cinéma, peinture, musique... etc), c’est à dire de découvrir des productions, sans aucun discours critique, mais en accompagnant le lecteur dans sa découverte, et en lui offrant un accès à l’œuvre, dont il découvrira certains aspects à même de le guider vers une lecture plurisémantique de l'oeuvre.
De nombreux poètes et auteurs contemporains offrent aux lecteurs des bribes de leurs productions. Pour le numéro de juin, une pléiade époustouflante sera proposée dans cet écrin de papier blanc, de beau format, dont la couverture, noire et blanche, offre des productions graphiques d’une étonnante originalité. Ce numéro de juin laisse rêveur, car on pourra y trouver entre autre :
Antoine Basile Mouton, Annabelle Gral, Arthur Fousse, Benjamin Bouche, Sara Bourre, Céline Pieri, Louis Raoul, Fabien Drouet, Christine Guinard, Arnaud Forgeron, Ema DuBotz, Marthe Omé, Céline Walter, Miguel Ángel Real, Khalib El Morabethi Anne Duclos, Sandy Vilain, SNG, Issia Bouhali, Margueritte C., Lo Moulis, Valère Kaletka, Murielle Compère-Demarcy (MCDem), Caroline Bragi, Marc Guimo, Benoit Camus, Jacques Cauda, Frédéric Dechaux, Jacques Jean Sicard, Régis Nivelle, Dominique Boudou, Grégory Hosteins, Antoine Ménagé, Christian Schott, B. Dorsaf, Mathieu Jaeger. Illustrations : La Demoiselle Hurlu...! Les couvertures laissent parfois apparaître l’urbanité décharnée d’un paysage contemporain, un lieu, sans identité, qui pourrait être n’importe où, et qui ne permet pas à un horizon d’attente déterminé de s’installer, ou bien des productions graphiques, toujours en noir et blanc, d'une très belle tenue. La liberté est offerte de lire, détaché des attentes d’une topographie quelle qu’elle soit, carte d’une histoire littéraire qui cloisonne le texte dans une historicité signifiante, pays, époque, ou bien d'une iconographie dévolue à une mimésis déterminée…La liberté, voici ce qu'annonce FPM, dés l'avant lecture !
Et c’est bien de cela dont il s’agit, de découvertes, de laisser aller les propos, les poèmes, les textes, quelle qu'en soit la catégorie générique, sans en orienter la lecture ; territoire de la littérature, alors, me dis-je. Je m’oriente vers le site femep, qui arbore le même discours, celui d’une liberté, de créer, de découvrir, d’exister, hors tout cadre déterminé. Des rubriques apparaissent : « Créations littéraires, Poèmes, Nouvelles, Récits, chroniques….et autres tentatives d’expression ». Elles signalent la même volonté de ne pas commenter le texte, de l’offrir dans l’immanence des déploiements de ses potentialités sémantiques. Car nous le savons, la poésie est plurisémantique, le texte un palimpseste, c’est un espace ouvert à toutes les réceptions, pour ne pas dire interprétations.
Je connaissais déjà Tarmac, maison d’édition associative. Et puisque j'ai cheminé émerveillée dans les avenues tracées par FEMEPO, je poursuis mon voyage vers ce lieu. Je découvre un dispositif adopté, ici encore, pour conserver une liberté de choix et offrir aux lecteurs la possibilité de lire et de découvrir de nouveaux auteurs. Des poètes y trouvent leur place, qui peut-être n’auraient pas pu souhaiter mieux que cet espace ouvert et qui produit des recueils d’une plastique appréciable.
Je souhaite alors vivement parler au musicien premier, car il n’aimerait pas je pense que je dise chef d’orchestre. Jean-Claude Goiri, avec une simplicité et une mdestie exemplaires, accepte de répondre à mes questions :
Jean-Claude Goiri, le site qui soutient votre revue Festival Permanent des Mots propose sur sa page d’accueil ces quelques lignes en manière d’entrée en matière :
« Créations littéraires
Poèmes, nouvelles, récits, chroniques...
et autres tentatives d'expression »« Créé en 2014, le Festival Permanent des Mots, FPM, est une revue littéraire exclusivement réservée à la création contemporaine. Aucun dossier, aucune critique, une trentaine d'auteurs dont un collectif de 6 chroniqueurs nommé Braquages. Vous serez donc les seuls juges face aux textes que j'ai souhaité distincts et singuliers mais réunis par une réelle "nécessité" de dire et de décentrer. Une sorte de topographie du territoire écrit contemporain avec la seule prétention de transmettre une différence et c'est déjà pas mal. »
1- Quel lien et quelle différence faites-vous entre la revue numérique et la revue papier ?
Le lien entre le site et le papier est l’auteur, c'est-à-dire que chaque auteur qui sera publié dans le site, le sera aussi en version papier. Pour chacun d’eux, je choisis des textes différents à publier sur les supports distinctifs. Le nouvel auteur accueilli est diffusé auprès de mes « abonnés au site » pour qu’ils se fassent une idée du style sans retrouver le même texte en achetant la version papier.
La différence est que tous les auteurs ne peuvent pas être publiés sur le site.
Les deux supports sont donc complémentaires dans un même objectif : diffuser les textes.
2- Quelle distinction entendez-vous entre une « critique » et une « chronique » ?
La chronique est un récit de faits distincts écrits dans l’ordre du temps lié par une même thématique mais n’ayant pas forcément un regard critique sur la thématique, ou, n’ayant pas comme « critique » le concept central de l’écrit. La chronique peut être un simple rapport objectif sur certains événements. La critique, elle, est un regard subjectif. Mais ceci n’a rien de négatif, la subjectivité apporte des ancrages culturels. D’ailleurs, je lis les critiques et je pense introduire une rubrique critique dans la revue papier.
3- Que voulez-vous dire par « transmettre une différence » ?
Ce serait de transmettre une « dissimilitude », c'est-à-dire des textes qui n’entrent pas dans une matrice prédéfinie, qui ne répondent pas à des normes, qui ne complètent pas une série déjà inscrite partout, des écrits qui se distinguent par une identité unique et non reproductible. Je voudrais que la revue soit un recueil d’identités distinctes pour prouver aux lecteurs que la diversité est riche et que sans elle, notre culture serait si pauvre.
4- Les textes que vous proposez sont entourés d’une pluralité de vecteurs de communication, qu’il s’agisse de chroniques ou d’autres formes de création artistique. Comment envisagez-vous la dynamique entre ces différents moyens d’expression ? S’agit-il d’une illustration du texte, d’une explication, ou bien tous ces supports sont-ils complémentaires ?
Ces différents moyens d’expression sont complémentaires, je les souhaite imbriqués pour former un ensemble cohérent autour des courbes éditoriales de la revue : décentrer pour dire le centre et, la création comme une nécessité d’exister autrement, de se désembourber, de sortir du « seuil ».
5- Cette mise en œuvre du texte dans un contexte diversifié, qui convoque l’espace contemporain de sa production, qu’il soit artistique, sociologique ou historique, permet-il d’offrir au lecteur un maximum d’outils pour qu’il soit « seul juge face aux textes » ainsi que vous le proposez ?
Il est certain et visible que dans notre société, l’autonomie de pensée est étouffée par une volonté politique de tout faire et de tout penser à la place du citoyen. Il semble ainsi à ce dernier avoir besoin de tout un attirail d’orthèses intellectuelles et culturelles pour pouvoir comprendre les choses et notamment pour pouvoir accéder à la littérature et lire de la poésie. Mais c’est faux, cette capacité, l’autonomie de pensée, existe, il faut la stimuler, l’exciter, la réveiller. Et ce constat fait suite à une expérience bien concrète et déterminante dans mon engagement : j’ai travaillé au Centre d’Auto-Apprentissage des Langues de Pachuca (Mexique) et j’y ai constaté que tout le monde peut être l’acteur de ses apprentissages en réveillant des facultés endormies : repérage (d’éléments distinctifs…) ; différenciation, organisation des données ; comparaison ; analyse d’ensembles ; constructions par mimétisme ; personnalisation par opposition… Ces comportements naturels devraient être appliqués dans tous les domaines, non seulement dans la lecture, mais aussi dans l’approche de la littérature et dans la construction d’une culture personnelle. Ces capacités se libèrent instinctivement quand on leur en donne l’occasion grâce à des structures et à des conseillers tels que ceux du CAAL de Pachuca (je n’en connais pas d’un tel acabit dans notre pays qui soit public et gratuit). J’ai vu des « apprenants » étonnés de découvrir qu’ils possédaient des aptitudes leur ouvrant les portes d’un jugement autonome ! Et, c’est bien cette nécessité « d’être seuls juges » qu’il faut réactiver pour ne pas se laisser noyer par toutes les « utilités hypnotiques » qu’on nous assène et qui n’ont plus rien à voir avec nos intimes pensées, notre intime nature ou une quelconque construction de soi.
6- Pensez-vous que cette mise en œuvre des productions littéraires, qui visent à offrir au lecteur des outils variés pour enrichir son appréhension en plaçant les textes dans une perspective multi-dimentionnelle, soit un acte politique ? Entendons par là qu’en permettant d’éclairer les multiples potentialités sémantiques d’un texte quelle que soit sa catégorie générique vous permettez au lecteur d’en appréhender la portée critique.
Oui, il s’agit bien de proposer au lecteur d’activer son jugement et son sens critique par lui-même. D’abord par la littérature et l’art, puis, à lui de transférer au plus large.
Mais je ne pense bien sûr pas changer le monde, si cela était possible par la littérature ou l’art, il y a longtemps que ce serait fait, au moins depuis Artaud. A mon humble niveau, je ne peux qu’apporter de l’eau fraîche aux lecteurs qui en demandent pour raviver ainsi leurs sens.
7- Cette perception synchronique, c’est à dire du texte dans son contexte contemporain, peut-elle faire l’économie d’une mise en perspective du texte envisagé dans son lien avec une histoire littéraire qui participe de sa production de manière implicite ? Ne pensez-vous pas que couper le texte de son lien historique avec les œuvres qui l’ont précédé n’est pas l’amputer d’une certaine dimension ?
Je ne pense pas que publier uniquement de la littérature contemporaine soit une amputation à quoi que ce soit ou un handicap. Je choisis les textes pour leur engagement « intime » et pour la clarté de leur verbe. Je rêve que le lecteur puisse y trouver une source quelle que soit sa culture. Je rêve que le lecteur trouve sa propre dimension.
8- Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez créé FPM, puis Tarmac, qui est une maison d’édition associative ? Quelle a été votre motivation première ?
Ma première motivation se déclencha quand j’animais des ateliers d’écriture. Certains textes étaient tellement singuliers et innovants que j’ai pensé qu’ils méritaient d’être connus et publiés, déjà dans leur établissement, puis dans leur entourage. Alors j’ai créé la revue Matulu en 2002. Et j’ai intégré d’autres textes d’auteurs externes aux ateliers par la suite.
Puis j’ai arrêté les ateliers d’écritures.
C’est alors que ma motivation première s’est activée : montrer que la littérature (et par son biais, l’Art et la culture) n’est pas un produit manufacturé avec un seul code-barres pour distinction (je n’ai jamais mis de code-barres dans mes revues ni dans les livres d’ailleurs).
Donc, j’ai créé une autre revue, le FPM, pour assouvir ce besoin. Et cette fois-ci, je voulais lui donner une autre ampleur, je voulais qu’elle déborde de ma région. Et elle l’a fait au-delà de mes espérances pour l’instant.
Pour Tarmac, sa création est due aux envois réguliers de manuscrits des auteurs publiés dans le FPM et j’avais très envie aussi de répondre à ce besoin puisque je le pouvais. Pour moi, Tarmac un prolongement logique du FPM.
9- Quel serait l’objectif à atteindre si vous deviez un jour vous dire que votre engagement a mené à la réalisation de ce projet de longue haleine ? Et comment définiriez-vous ce projet ?
Sincèrement, je n’ai d’objectif ni intermédiaire, ni final, car ce combat pour la reconnaissance du « singulier » (voire étrange) de l’Art et de la culture me paraît sans fin. Il faut juste le défendre et c’est déjà pas mal.
Mais j’ai une kyrielle de projets pour soutenir ce « non objectif sans fin », et, bien sûr, tous liés à l’activation de la créativité ou à son renouvellement : Résidences d’auteurs ; Festivals de poésie et autres formes d’expressions (cirque ; sculpture ; théâtre etc…) ; Maison de la poésie ; plus d’ouvrages qui font collaborer auteurs et artistes pour Tarmac ; librairie-théâtre… etc…
Sans fin.
Un grand merci, pour l’accueil que Jean-Claude Goiri a réservé à recours au Poème, mais aussi pour la poésie, qui peut, hors de toute contrainte, poursuivre sa route et emprunter les chemins d’un renouveau attendu et souhaité.
http://www.tarmaceditions.com
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https://fepemo0.wixsite.com/eltoriljournal
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