Un poète qui déclare [emmerder les saules pleureurs] ne cherche pas à jouer au plus fin avec la noirceur du réel. C’est le cas d’Anna de Sandre dans son recueil Un régal d’herbes mouillées paru aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune. Les personnages de ses poèmes ciselés comme des histoires ultra minuscules sur fond de paysages balafrés sont pour la plupart des gueules cassées. Le lecteur côtoie dans cette galerie de l’épouvante des prostituées de cave borgne, des clochards qui n’ont rien de céleste, des tâcherons abrutis de sang et de chaleur, des animaux aussi égarés que des enfants égarés, des cadavres, beaucoup de cadavres, oubliés depuis longtemps dans les draps de leur lit ou dépecés dans des poubelles. ” Le temps traverse les rues en serrant les fesses et la Mort épingle avec la langue dans des baisers profonds le déniaisé jeune majeur et la douairière en dentelle de Calais”, écrit Anna de Sandre. Sa langue, qui s’apparente parfois à celle des polars les plus sombres, va et vient du noir au blanc à grands coups de coupes franches qui donnent le frisson du rouge avant qu’il advienne. Parfois, en des vers plus contractés que des muscles, elle frappe les notes d’un chant à la limite du déséquilibre. On imagine volontiers quelques-uns des derniers poèmes mis en musique par le Léo Ferré des années cinquante et servis par Juliette Gréco. Le registre, souvent argotique, (pageot, kif, turbin, gigolo, mouron…), s’émaille également de vocables plus recherchés voire savants, ( hobo, cochlée, andain, akène, atramantophile…), et ne dédaigne pas les notations très contemporaines, à la façon de Valérie Rouzeau, (médiathèque, fast-food, body, écran plat, string…). Un éventail très large donc, mais il faut bien cela pour tenter de [nettoyer la saleté des jours]. Enfin, la façon d’Anna de Sandre épouse parfois le phrasé si particulier de Bernard Delvaille dans son recueil Faits divers. Ce poème, dont les trois derniers vers propulsent le lecteur dans un autre univers en atteste : ” Il y a la mer et la neige / et dans une barge / laissée à quai / une brune / ronde / et longuement / nattée / de l’or froissé / écorche / ses yeux vairons / et de la poudre / blanche / accrochée / à ses jupons / rappelle / qu’on est dimanche / et qu’elle lisait / des nouvelles / de Norvège.”
Anna de Sandre, tenancière du blog Biffures chroniques, a aussi publié un livre de littérature pour les enfants chez Gallimard, Iris et l’escalier. Voilà, n’en doutons pas, un jeune auteur plein de promesses et qui a retenu la leçon de Flaubert : l’écriture, c’est le style.
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