L’auteure-traducteure remercie vivement Sara M Ortiz pour les échanges qui ont permis l’écriture de cet article.
Sara Marie Ortiza a grandi principalement dans l’état du nouveau Mexique mais aussi dans l’état du Texas. Elle est membre de la nation Pueblo Acoma. Fille du célèbre écrivain Simon Ortiz et d’une mère non indienne qui lui a toujours inculqué l’importance de son héritage Acoma, elle a baigné dans un environnement artistique et littéraire, ce pourquoi elle se dit privilégiée et très reconnaissante.
Elle est donc la demi-sœur cadette de Rainy Dawn Ortiz, artiste elle aussi, fille de Joy Harjo et de Simon Ortiz. Sara Marie a obtenu une licence à l’institut des arts Amérindiens de Santa Fé et un master de l’université d’Antioch en Californie. Artiste multidisciplinaire, elle est vidéaste, cinéaste, plasticienne et poète. En 2013 paraissait son premier recueil de poèmes intitulé « Red Milk, volume I » (Lait rouge) édité chez Create Space Independant, un deuxième recueil sortira bientôt, intitulé « Savage : a Love Story » (Sauvage : une histoire d’amour). Sara Marie écrit également des essais, a été et est publiée dans des magazines littéraires et des anthologies.
Son premier livre a été bien accueilli. Mélange de vers et de proses poétiques, il exprime parfaitement la sensibilité propre aux peuples Indiens d’Amérique. Elle nous fait entendre les tambours et les flûtes, elle nous initie au système des réserves tout en utilisant des expressions du langage urbain, elle nous projette dans ce nouveau siècle tout en nous laissant entendre l’écho des siècles passés. Le ton du livre n’est pas pleurnichard, il allume en nous le besoin tout simplement humain de chaleur humaine et de rassemblements festifs, voire de cérémonies. Dans le livre elle nous confie et nous expose non seulement ses émotions mais aussi son art singulier de l’écriture. Il peut surprendre certains et pourtant il est fidèle à l’esprit et à la tradition de son peuple.
Sara Marie Oriz est également une militante très investie dans son rôle de cadre administratif dans l’éducation à Burien, à côté de Seattle, état de Washington, où elle travaille avec des élèves de toutes origines et plus spécifiquement des Indiens Duwamish, Yakama, etc.
Now this night par Sara Marie Ortiz. Cette vidéo est tirée de POETRY MATTERS, un projet éducatif créé par New Mexico Culture Net (www.nmcn.org) en partenariat avec le Santa Fe Community College pour les apprenants et les enseignants.
La souveraineté tribale aux Etats-Unis est le pouvoir inhérent de tribus indigènes à se gouverner elles-mêmes à l’intérieur des frontières des États-Unis d’Amérique, c’est aussi le principe qui accorde le statut de nation aux différentes communautés tribales. Cette souveraineté s’exerce pratiquement et concrètement par la pratique des langues tribales ancestrales, par un gouvernement tribal, par l’existence d’école et d’universités propres aux communautés Indiennes, par la pratique des rituels et cérémonies traditionnels, par un mode de vie conforme aux valeurs Indiennes de solidarité, de partage, d’entre-aide, d’harmonie.
Sara Marie se voit comme un maillon, elle dit exactement « spirit contnuum », dans la longue chaîne des artistes engagés à promouvoir leurs cultures et leurs valeurs en suivant une pratique créatrice.
Interview de Sara Marie Ortiz pour la Célébration du mois de l’histoire des femmes — Écoles publiques de Highline — Éducation autochtone.
C’est de cette manière dit-elle, que tradition et renouveau sont véhiculés de concert. Elle dit aussi vouloir se remettre en question dans ce processus créatif car pour elle comme pour tous les Indiens d’Amérique du nord, parler, écrire ce n’est pas seulement raconter une histoire, c’est recréer le monde, lui redonner naissance, c’est un acte sacré, une responsabilité importante. Elle place sa vie et travaille à la confluence entre arts et militantisme. La culture Acoma enseigne depuis la plus tendre enfance à aider. La question première à se poser en toute circonstance est : que faire pour aider. Le travail qu’elle désire opérer en premier lieu, est de transformer le diktat de la résilience imposée par la colonisation par la volonté de survivance, contraction de deux mots, formée de survie et de résistance.
Ceremony par Sara Marie Ortiz.
Langage
Zer gizon ziren han batailaren amaieran zain? Eta zergatik?
Nephilim? Ou chiens ? La sauvagerie devint eux ; quoique nous ayons fait.
Minimiser un tel rongement. Les cœurs du Lycanthrope
qui rôdait et bougeait dans les forêts
comme les fantômes de militaires, jadis fils, pères perdus-tous
avec des jardins de bougainvillées fleurissant et fanant
dans leurs cœurs.
Porteur de peau, quel chant parlant de toi à présent ?
Où les choses sauvages sont—mange et bois profondément,
vieux cœur. Ils grondèrent leurs terribles rugissement. Et grincèrent
de leurs terribles dents…
Bonne nuit Lune—quatre minutes de plus ?
Refluant en un millier sacré supplémentaire.
Et puis dix-mille.
Et puis les impossibles longues nuits devinrent
impossibles et longues matinées ;
et les guerres avaient duré des décennies,
et nous nous arrêtâmes de compter.
Sang dedans sang dehors.
Maladie de fantôme ; comme toutes les choses qu’ils transportaient—comme les choses qu’elle et
elle
et elle aussi
portaient. Du baume
de Gilead dans une vieille boite de comprimés. Le corps blanc délicat
d’une mante qu’elle avait attrapé une fois et voulait garder en vie, mais ne put.
Un pétale de rose séché arraché à la pierre tombale de Proust.
La Llorona; ceci maintenant.
Verre soufflé
globes de chaleur et lumière flottant
à la surface. Une petite fille que vous pensiez
se noyer dans le Rio Grande ; elle ne
se noyait pas. Plus ancienne farce dans le livre. Peut-être
y réfléchiras-tu à deux fois la prochaine fois que tu marcheras
après la nuit tombée
Almanach des morts ;
amygdale gonflée comme un ballon.
Histoires effrayantes à dire dans le noir ;
Lanterne de papier de la longueur d’un cercueil de chez Ikea,
à moitié allumée.
Long poignard s’assombrissant lentement
comme une flèche de lumière.
En attendant Godot.
Radis enveloppés de cellophane.
Mi vida loca*.
Moisissure gris-vert le long du blanc froid de la vitre
(cela signale le matin et quelque chose de plus sinistre encore).
Vieuxgarçon.
Planche à découper tâchée d’orange sanguine.
Un très vieil homme avec d’énormes ailes.
Suggestif.
Symétrie et niais muscle lent du cœur.
Bénis moi, Ultima**.
*ma vida loca : ma folle vie (espagnol)
** Ultima : dernière (la dernière à rester, qui demeure) .
∗∗∗
Dans la langue Acoma, il y a un mot qui rassemble les valeurs généreuses de la culture exprimée avec une forme de reconnaissance respectueuse et joyeuse chevillée au corps et à l’esprit. Ce mot est Iyáaní. Sara Marie Ortiz en fait le titre d’un poème et explique que ce mot signifie : « toutes les choses ». Elle dit que cela signifie le partage de nos vies précieuses. Cela signifie l’esprit dont est imprégnée toute vie, chez tout être humain, dans tout élément naturel, dans tout ce qui existe ; c’est le souffle et la pulsation qui est réverbérée au centre. Elle précise : « Même en tant qu’indien urbain, et particulièrement à ce titre, sa mémoire m’accompagne toujours, où que je sois. Depuis le moment où nous sommes nés, dans la communauté Acoma, on nous enseigne à se comporter avec bienveillance, à être respectueux et gentils. Être généreux est la voie, la façon d’avoir une bonne vie, et nous choisissons, encore et encore cette bonne voie. On nous apprend à écouter avec attention, à bien se rappeler des vieux enseignements qui sont la marque d’une arche ancestrale, une arche qui est présente en nous, une arche de savoir que nous avons transmise et qui est valide en tout temps, le savoir que nous survivrons en tant que peuple. »
Iyáaní (esprit, souffle, vie)
A Haak’u
dans la communauté,
sur le territoire, dedans et dehors,
il y a une voie dans toute chose
que les enfants Acoma (Haak’u) apprennent.
Shadruukaʾàatuunísṿ
C‘est une façon de dire.
C’est une façon de dire notre vie et la façon dont
Les choses grandissent et croissent. C’est une façon de dire
combien les enfants grandissent rapidement. C’est une façon
de dire les plantes, dont nous prenons soin avec amour
car dans les champs elles grandissent et croissent.
C’est une façon de dire qu’aucune ne grandirait ne croitrait
sans
notre amour.
Amuu’u haats’i’est une façon de dire notre vie bien aimée.
Notre terre bien aimée.
Nos enfants et notre communauté bien aimés.
Sráamí.Ce n’est pas toujours facile. Et nous, le peuple, les
Hánʾu, ne sommes pas toujours bons et justes. Mais la voie juste et bonne
est la voie
que nous suivons que nous pourrions vivre. Srâutsʾímʾv. Srâutsʾímʾv, disent
les Ancêtres, nos anciens, qui parlent depuis la terre
depuis les rivières, dans et à travers la pluie, et dans tous les cycles
que nous connaissons sur terre. Srâutsʾímʾv, enfants. Savez-vous
seulement combien nous vous aimons et prions pour vos vies ?
Elle poursuit l’expression et l’affirmation de ces valeurs et de sa culture en écrivant un autre poème :
SHƏTRƏNI (GRAINES)
Nous nous éveillons.
Comme les vagues.
Comme corps aquatiques, souffle, ciel, nés du sang, taillés par la terre, impérieux,
anciens enfants, toutefois nous levant.
Slhémexw
q’ep
kaachani
y’aak’a
insiman
Inaki
QƏlb
? Əsłałlil
Ma xicochi
Pluie
à rassembler
pluie
maïs
à planter
pour avoir soif
{pluie}
Vivez ici
Puissiez vous dormir.
Prophécie.
Les Hanoh (peuple)
Cartes sacrées en cela, enfant.
Sois aussi fort que l’eau, la terre, les étoiles et le ciel t’ont fait. Les Ancêtres sont ici.
Pourtant ces graines, ces jeunes pousses, ces enfants, au cours de 19 et début du 20ième siècle ont été arrachés à leurs parents, soustraits à leurs communautés et envoyés dans des pensionnats pour Indiens. A l’heure actuelle, la réalité de ces pensionnats fait les titres des journaux aux USA et au Canada. L’horrible sort réservé à ces enfants est enfin révélé au grand jour et Sara Marie, tant investie dans l’éducation, veut chanter pour eux :
“…It sang the song of them & this but it did not, will not, contain the names of them.
& sometimes it seemed that the
always-leaving-even-when-returning-song of them
was the same one that was sung about the ancestors.
But it wasn’t.
Tenor & pulse.
Movement & measure.
Silence.
A silent requiem for the ghost dancers we have become;
Native American Preparatory School
where the children have always been & will always be as ghosts…”
« …ça chantait ceci & leur chanson mais ne contenait pas, ne contiendra pas leurs noms.
& parfois il semblait que la chanson
toujours-partant-même-quand-de-retour- qui-était-la-leur
était la même que celle chantée à propos des ancêtres.
Mais elle ne l’était pas.
Contenu & pulsation.
Mouvement & mesure.
Silence.
Un requiem silencieux pour les danseurs fantômes que nous sommes devenus ;
Ecole préparatoire des Indiens d’Amérique
où les enfants ont toujours été & seront toujours comme des fantômes… »
Pas étonnant alors que Sara Marie se présente comme une personne motivée, courageuse, travailleuse, studieuse, visionnaire. Elle se sent née et appelée pour défendre les populations sous représentées, les mal desservis. A Burien, elle veut développer un ethos et des pratiques qui permettent aux jeunes Indiens d’accéder à des positions de leadership, à organiser des processus et des dispositifs qui mettent en place l’égalité des chances et des opportunités afin que les jeunes Indiens se développent et prennent en charge le développement de leurs communautés, qu’ils puissent atteindre l’auto-gouvernance aussi bien dans les zones rurales que dans les villes, et ce au cours du 21ième siècle.
Sara Marie est cette personne qui choisit pour conclure ses lettres de citer Paolo Freire, le grand pédagogue qui a pensé l’éducation dans le contexte social et politique, qui a pensé le militantisme en rapport avec la pratique et l’idéalisme :
“The idea that hope alone will transform the world, and action undertaken in
that kind of naïveté, is an excellent route to hopelessness, pessimism, and fatal-
ism. But the attempt to do without hope, in the struggle to improve the world,
as if that struggle could be reduced to calculated acts alone, or a purely scientific
approach, is a frivolous illusion” – Freire
« L’idée que seul l’espoir transformera le monde, que l’action entreprise dans
cette sorte de naïveté, est la route toute tracée pour le désespoir, le pessimisme et le fatalisme.Mais la tentative d’agir sans espoir, en luttant pour améliorer le monde,
comme si cette lutte pouvait se réduire à des actes calculés seulement, ou bien une approche scientifique, est une illusion frivole ».
Ceci résume bien l’esprit dans lequel travaille Sara Marie, comment elle respire et vit.
En conclusion, Sara Marie exprime ceci : l’espoir ne peut pas manquer quand on vit dans une communauté où les liens sont forts, aimants, et l’espoir c’est de pouvoir accéder à une profession de service et d’entre-aide, exercer un vrai métier qui soit le travail d’une vie ainsi qu’elle a le bonheur de l’exercer, surtout ne pas être réduit à une activité seulement alimentaire, ce qui n’a pas le sens fort d’un engagement auprès d’une communauté dans laquelle on vit en harmonie avec les autres membres et l’environnement.
Présentation de l’auteur
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