Les critiques ont très tôt reconnu en Elizabeth Cook Lynn une voix lyrique puissante doublée d’une féroce analyse qui avec des propos et des vers cinglants parle ouvertement de la condition « indienne » aux Etats-Unis. Elle se fait voix de la vérité historique, avocate ardente elle défend son territoire aussi bien géographique qu’imaginaire avec intensité, avec cœur et pour sa communauté. Elle aborde avec une intégrité intellectuelle remarquable les sujets tels que le génocide, le racisme, la souveraineté, le colonialisme.
Dans une interview, elle a déclaré : « Depuis que j’ai su lire, j’ai voulu devenir un écrivain. » Son sentiment à l’époque était que rien de ce qu’elle lisait dans les livres ne reflétait ses expériences et elle comprenait que non seulement les Indiens étaient exclus de la société dominante, mais qu’en plus, ils étaient indésirables, personna non grata, sur des territoires qui pourtant étaient les leurs depuis toujours. De cette prise de conscience lui vint l’envie, se forgea sa responsabilité et elle se fit un devoir d’apporter à la littérature américaine ce qui manquait : sa composante originale Indienne. Mais il lui fallut attendre quarante ans avant d’être publiée, (et elle admet que maîtriser l’anglais parfaitement quand on vit sur la réserve n’est pas facile pour le petit Indien ordinaire). Elle est née en 1930 dans le Dakota du sud, à l’hôpital de Fort Thompson, c’est-à-dire sur la réserve Crow-Sioux. Elle a été élevée au sein de ce que les anthropologues dit-elle non sans ironie, appelle une famille élargie, à savoir donc la norme traditionnelle pour les Sioux. Son père a été longtemps membre du conseil tribal. Sa grand-mère, fait rare pour les indiens de cette époque, était parfaitement bilingue (Dakota-Anglais) et écrivait des articles pour un journal chrétien local. Pas de grosse surprise donc à apprendre qu’Elizabeth Cook Lynn obtint une licence en journalisme. Elle obtiendra une maîtrise en éducation, psychologie et conseil. Elle a enseigné au niveau secondaire (lycées du nouveau Mexique et du sud Dakota) puis au niveau universitaire en devenant professeur d’études amérindiennes à la Eastern Washington University, à Cheney. Elle fonda avec Beatrice Medecine , Roger Buffalohead et William Willard , The Wicazo Sa Review (crayon rouge en langue Sioux), un journal consacré aux études amérindiennes aussi bien politiques que littéraires. Après sa retraite , E.Cook Lynn fut invitée en résidence littéraire dans les universités du pays, elle dirigea des ateliers à l’université du sud Dakota pour les écrivains Sioux , et de cet atelier naquit un journal : WOKAYE KINIKIYA , journal tribal de littérature .
Sa poésie utilise les mythes de sa culture, explore les traditions, met en scène la vie sur la réserve alors que sa prose se tourne vers l’analyse historique ou psychologique afin de montrer les dommages faits et les épreuves que les Indiens aujourd’hui continuent d’endurer. « Ecrire est un acte de défi né du besoin de survivre » avoue-t-elle, « c’est l’acte essentiellement optimiste né de la frustration, c’est un acte de courage. » Elle dit aussi que c’est un acte « qui défie l’oppression. »
Elizabeth Cook-Lynn a répété à l’envie que la responsabilité d’un poète était de « consacrer » l’histoire, les événements, la joie comme le chagrin, de souligner et ne pas laisser perdre l’importance et la signification des ancêtres comme de ceux qui ne sont pas encore nés. Le deuxième poème reproduit ci-dessous parle du massacre de Wounded Knee Creek, perpétré le 29 décembre 1890 après une traque de plusieurs jours, est le symbole d’un crime contre l’humanité, 350 personnes dont majoritairement des femmes, des enfants et des vieillards ont été tués (des mitrailleuses Hotchkiss parce qu’ils étaient Indiens, alors qu’ils se rendaient pacifiquement (Big Foot le leader brandissait le drapeau blanc) sur la réserve de Spoted Tail afin d’échapper aux rigueurs de l’hiver dans les territoires plus au nord, et ce parce après que la nouvelle de l’assassinat de Sitting Bull eut été répandue et qui sonnait comme la mort symbolique de la résistance Indienne à l’échelle des territoires des Plaines, semant le désespoir parmi les bandes d’Indiens encore « libres ». Big foot, se mourant de pneumonie mais assumant jusqu’au bout sa responsabilité de « chef », au nom des siens avait demandé auparavant asile dans une église, ce qui leur avait été refusé. Les Indiens ont toujours su cette version de l’histoire et ce n’est que depuis une dizaine d’année seulement que les blancs avec réticence acceptent qu’il s’agisse bien de la vérité… mais les preuves existent.
Le poème parle d’une cérémonie (deuxième strophe) qui a vraiment eu lieu quand les rescapés du massacre et des guerriers venus sur les lieux après la tuerie, au péril de leurs vie, se sont rassemblés quelques heures après et qu’ils ont pleuré sur le sol et qu’ils ont veillé leurs morts tout en plaçant douze repères enveloppés de rouge pour délimiter le site. Les chants Sioux ont conservé la mémoire de cette cérémonie. Le procédé poétique écrit n’est que le prolongement des traditions orales afin de continuer de perpétuer la mémoire et l’identité d’un peuple. C’est un engagement et un acte de reconnaissance envers l’histoire des Sioux, de la culture d’un peuple que de poursuivre au fil des années l’exécution des chants et son accompagnement aux tambours, afin de se souvenir mais aussi pouvoir dire : nous sommes vivants, nous avons survécu à tous les mauvais traitements et massacres. Le nombre douze, quatre fois trois, est rituel et sert à enregistrer l’événement et des termes sacrés. Sitting Bull et Crow Dog, leaders spirituels sont des personnages présents dans le poème pour rappeler que pour les Indiens la vie quotidienne est imprégnée du spirituel quand les blancs eux n’ont fait que rapporter un fait militaire, une victoire définitive sur les Indiens hostiles. Rapporter des faits historiques de cet ordre, d’une infinie tristesse, n’est pas un but en soi et ne constitue pas l’essence de la poésie écrite par les Native American. Seuls des ignorants naïfs pourraient coller cette étiquette de triste sur les textes. Mais on ne peut pas laisser croire non plus que les Indiens se sont réjoui et continuent de se trouver chanceux d’avoir été dépossédés de leurs territoires et de leurs cultures, ou d’avoir été assassinés. Mais c’est un devoir et un aspect fondamental de l’être poète Indien que de célébrer ce genre de cérémonie au travers de l’écriture.
On a prétendu que l’identité Indienne était désormais sans importance, que la société américaine avait l’absorbée, et qu’au mieux elle se résumait en la contemplation du monde naturel auquel les Indiens s’abandonnaient et que cette soumission à l’environnement constituait la philosophie et la croyance des populations Indiennes. Ce refrain entendu depuis des siècles légitime l’idée que les Indiens devaient un jour disparaître car devenant archaïques, inadaptés, incapable de vivre dans un monde moderne. Leur temps était venu, en tant que race et civilisation, de s’éteindre. La mission d’auteurs comme Elizabeth Cook Lynn est de démontrer le contraire, de déconstruire cette idée, de montrer que cette notion de périmé, d’obsolète, est complètement fausse.
Le premier livre d’Elizabeth Cook Lynn, un recueil de poèmes, chants et histoires intitulé Then Badger Said This, célèbre les traditions et coutumes des cultures Indiennes. Un second recueil, Seek the House of Relatives, constitué de poèmes seulement, offre un perspective plus sombre sur la situation et les forces sociales au travail dans les cultures indiennes et en particulier sur les réserves tout en reconnaissant et louant l’incroyable force de survie de ces populations qui honoraient leur héritage culturel et spirituel malgré les difficultés et l’exclusion dont ils faisaient l’objet. Exclusion physique mais aussi exclusion des manuels d’histoire, comme si l’Amérique avait été découverte vierge, et que la société américaine ne s’était pas construite au détriment des Indiens, les premiers habitants de ce continent… Cet « oubli » à l’échelle d’une nation entière poussa Elizabeth Cook Lynn à faire de l’écriture un outils de survivance, une preuve d’existence des communautés Indiennes, bien vivantes même si affligées de maux nombreux. Voici deux poèmes tirés du second recueil (avec des remerciements et reconnaissance au père Benett, l’éditeur qui en autorise la reproduction.)
UN MOMENT : dans le bureau de poste pour se tenir au chaud
Rapid City, Sud Dakota
Silencieusement, le jour si dépourvu de soleil les esprits pleurent,
un homme maintenant âgé que j’ai connu par le passé, me fixe :
une quintessence de regard qui me rappelle
combien nos vies sont dures. Je fais signe. Il sourit
et tous deux pouvons encore voir le pont que nous traversions
quand nous étions les enfants
des faucons de prairie.
A MOMENT : standing in the post office to keep warm
Rapid City, South Dakota
Silently, the day so sunless spirits weep,
a man I used to know stares at me with eyes
of quintessential age reminding me
our lives are hard; I wave. He smiles,
and both of us still see the bridge we crossed
when we were children
of prairie hawks.
Voici l’illustration des conditions difficiles de survie sur la réserve Sioux où l’hiver se prolonge pendant des mois avec une température extérieure atteignant parfois moins quarante degrés … et le bois y est rare … mais la mémoire est fidèle et la notion d’appartenance à une communauté, à une histoire, est intacte.
POET’S LAMENT
about the Wounded Knee massacre of Indians
All things considered, they said,
Crow Dog should be removed.
With Sitting Bull dead
it was easier said.
And so the sadly shrouded songs of poets,
ash-yellowed, crisp with age
arise from drums to mark in fours
three times the sacred ways
that prayers are listened for; an infant girl stares
past the night, her beaded cap of buckskin brightens
Stars and Stripes that pierce
her mother’s breast; Hokshina, innocent
as snow birds, tells of Ate’s blood as red as plumes
that later decorate the posts of death.
“Avenge the slaughtered saints,” beg mad-eyed
poets everywhere as if the bloody Piemontese are real
and really care for liberty of creed; the blind
who lead the blind will consecrate the Deed, indeed!
All things considered, they said,
Crow Dog should be removed.
With Sitting Bull dead
it was easier said.
UNE COMPLAINTE DE POETE
au sujet du massacre des Indiens à Wounded Knee
Toutes choses bien considérées, dirent-ils,
Crow Dog* serait éliminé.
Avec la mort de Sitting Bull*
c’était plus facile à dire.
Ainsi les chants de poètes tristement ensevelis,
cendres jaunies, friables avec l’âge
émergent des tambours pour souligner, de quatre fois
trois temps les voies sacrées,
ce pourquoi les prières sont écoutées ;
une petite fille
écarquille les yeux après la nuit, sa cape de daim perlée
d’Etoiles et de Zébrures luisantes
perce la poitrine de sa mère ; Hokshina, innocente comme
les oiseaux de neige, raconte le sang de Ate* aussi rouge que les plumes
dont seront décorés plus tard les camps de la mort.
« Venge les saints martyrisés », mendient les yeux fous
des poètes partout comme si les « Piemontais sanguinaires »* étaient réels
et se préoccupaient véritablement de la liberté de la foi ; les aveugles
qui mènent d’autres aveugles, consacreront la Bonne Action, vraiment !
Toutes choses bien considérées, dirent-ils
Crow Dog serait éliminé
Avec la mort de Sitting Bull*
c’était plus facile à dire.
Notes :
· *Crow Dog :Chef de bande et guide spirituel des Sioux Oglala, qui comme Sitting Bull, Crazy Horse et d’autres chefs dits hostiles refusaient de se rendre sur des réserves et poursuivaient la lutte pour conserver leur territoire et leur liberté. Au contraire de Spoted Tail, ennemi Oglala du camp de Crow Dog qui conduira les siens sur une réserve dite « agence de Spoted Tail. » De nos jours encore ces deux familles nourrissent des ressentiments, d’autant que Spoted Tail fut tué par Crow Dog.
· *Sitting Bull ( Tatanka Yotanka) : Chef charismatique, guide spirituel des Sioux Hunkpapas , après une fuite vers le Canada pour échapper à l’armée Américaine et voyant les siens mourir de faim et de froid , Sitting Bull fut contraint de rester sur la réserve où il dirigeait des cérémonies rituelles (la liberté du culte alors était interdite) ce qui était interprété comme « une menace » par les autorités blanches , d’où une expédition armée à l’aube jusqu’à son tepee pour le déloger et lui intimer l’ordre de cesser ces activités pour ramener l’ordre et la discipline sur la réserve… C’est là qu’il sera assassiné par l’un des Sioux faisant partie de l’escorte en tant que « policier tribal ». Oui, après la mort de Sitting Bull, il était plus facile d’oser tuer les autres chefs, le peuple se sentait alors découragé, impuissant pour se révolter.
· Ate est le nom Sioux qui signifie père et peut aussi faire référence au ciel.
· « Les Piémontais sanguinaires » sont ici les missionnaires catholiques, qui dans l’ensemble se montreront violents , aussi peu tolérants que possible, voire même tortionnaires d’enfants Indiens … toutes choses que leur enseignait la Bible sans doute !
Elisabeth Cook Lynn n’a pas toujours été tendre pour ses collègues, elle a reproché à certains auteurs Indiens de n’être pas assez engagés, de ne pas parler et rendre compte des luttes contemporaines des tribus pour récupérer des terres volées : « ils ne reflètent que très succinctement ou ne défendent pas la protection des traités qui garantissent l’étendue des réserves en tant que bases et lieux de naissance des populations indigènes, ils ne suggèrent pas non plus un comportement engagé de l’artiste en tant que critique social responsable. » L’engagement d’Elizabeth Cook Lynn n’a jamais failli et pour preuve, voici quelques citations glanées dans ses « notebooks » (carnets) :
« Ecrire est une façon de se souvenir le mouvement généreux donné par les gens et la force qui peut entrer dans nos vies et nos esprits de son propre élan ? Mon oncle Lewiss Pitt me disait récemment : « un vrai grand pêcheur ne dit pas qu’il est habile parce qu’il a pris un grand nombre de poissons. Il dit qu’il a eu la chance de sentir où se trouver au bon endroit et que c’est ce qui lui a fourni une bonne pêche. Nous ne possédons rien en réalité et devons être reconnaissants d’avoir été instruits de ces manières par la nature. » Je crois que c’est le même procédé qui fonctionne le mieux pour moi en tant que poète. »
« J’écris au sujet de ce qui me brûle et du dégoût que j’ai pour une nation démocratique qui ne réclame pas d’impôts aux gens à qui elle volé les terres. J’écris au sujet de politiques qui concernent et se développent en terre sacrée et j’écris au sujet de l’anti-indianisme compris comme un concept de la même façon qu’on parle d’antisémitisme ou d’autres idéologies racistes émergeant de la religiosité et plus spécifiquement du christianisme. »
« En tant qu’écrivain et professeur, je suis plus que jamais certaine qu’écrire est au cœur éthique de la construction d’une nation, ce qui se construit chez nous en ce moment. Ecrire est au cœur éthique de ce que nous espérons pouvoir apporter au dialogue pour ce continent du 21ième siècle. »
« Le mystère dans tout ça, m’a appris que quelle que soit la quête d’un homme ou une femme pétris de sagesse, l’art est la manière de l’approcher.»
« La responsabilité ultime d’un auteur comme moi est de m’engager à publier des écrits qui soutiennent la légalité, la légitimité inépuisables des Indiens dans ce pays et que nos ancêtres avaient dû abandonner. »
En 2009, Elizabeth Cook Lynn a reçu du cercle des écrivains Indiens a life time achievment award, soit l’équivalent d’un prix d’excellence pour l’ensemble de son œuvre. Cette œuvre ressemble à son poème Grandfather at the Indian Health Clinic qui montre un homme que l’âge avancé dignifie qui est « averse to / an unceremonious world », c’est-à-dire opposé à un monde sans ménagement, sans la beauté du respectueux, sans la dimension reconnaissante des cérémonies. Elizabeth Cook Lynn en cela renforce le sens très Indien de l’appartenance à un lieu, place irrévocable et ce sens va bien au-delà des valeurs qu’un occidental peut comprendre. Essayons pourtant de nous ouvrir à cet aspect de notre possible relation au monde, car comme le suggère indirectement le célèbre auteur Kiowa Norman Scott Momaday (et de nombreux auteurs Indiens sont d’accord avec lui), la parole Indienne est ce qui orne la reconnaissance même de celle-ci.
Sous la direction de Béatrice Machet, chez Recours au Poème éditeurs :
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