Un regard sur la poésie Native American (16). La poésie de Jennifer Elise Foerster

 

     Laissez-moi vous présenter aujourd’hui Jennifer Elise Foerster, une jeune et talentueuse artiste qui à l’instar de Layli Long Soldier et de Erika Wurth, représente la jeune génération de poètes Indiennes dont la voix surprend, secoue, enchante, nourrit. Elle  a obtenu un master d’écriture créative à l’université des beaux-arts du Vermont et sa licence à l’institut des arts amérindiens de Santa Fe, état du Nouveau Mexique. Elle a obtenu des bourses afin de suivre des programmes d’écriture créatives à l’institut Naropa, à Dorland Mountain Arts Colony, au Vermont Studio Center, ainsi qu’à l’université de Stanford. Publiés dans les magazines de poésie ses poèmes sont également présents dans des anthologies dont Poetry from the Indigenous Americas. Son premier livre intitulé Leaving Tulsa a été édité par University of Arizona Press ce qui déjà en soi est la marque d’une reconnaissance. Ayant des origines Hollandaises et Allemandes elle est avant tout membre de la nation  Muscogee  (encore appelée Creek) de l’état d’Oklahoma. Fille d’un diplomate, Jennifer a grandi dans divers pays mais elle a passé tous ses étés à Jenks, en Oklahoma, avec ses grands-parents Indiens. Elle vit maintenant à San Francisco où elle est écrivain free-lance et conseillère pour les associations (afin d’obtenir des subventions). Sa poésie explore son double héritage culturel dans une société américaine qu’elle critique. Ses poèmes deviennent parfois chansons, parfois poèmes-paysages capturés sur la route, route mythique, poèmes imagés rendant une ambiance magique, ils font exploser les frontières entre espace, temps, continents, soi et identité. Joy Harjo dit : « Ce premier livre de poèmes par Jennifer Foerster me rappelle la vision urgente qui animait le livre de Kerouac : On the Road. La route est exigeante et Jennifer courbe ses poèmes-chansons comme des roues. Elle appartient à une plus jeune génération, elle n’est pas un homme, mais une jeune indienne qui essaie de reconstituer l’histoire d’un peuple brisé. »

Voici quelques poèmes tirés de Leaving Tulsa qui sont reproduits avec l’aimable permission des éditions University of Arizona Press.

Le feu de Magdalena

La distance se remplit
de plumes couleur charbon.

Perdus sur une autoroute du désert jonchée de détritus,
des serpents à sonnette lèchent mon ombre déchirée par les épines,
des camions fantômes beuglent en déposant leur poussière sur moi
qui vais avec une canne pareille à un bâton fourchu,
deux corbeaux, lisses et magnifiquement noirs,
huilés sous le soleil, s’élancent à mes côtés.

Je ramperai depuis la couverture
de terre jusqu’au soleil,
comme des carapaces de criquet je pèlerai les nuages de mon dos.
Je suivrai le faucon vers les sources.

Coupant des membres comme des cordes ombilicales,
les serpents cascadent leurs rubans autour de moi.
J’agite un bâton rouge dans l’herbe.
 
Décrochant un nid de guêpes emmêlé à une branche,
je suis du doigt ses délicates alvéoles cartonnées,
le dépose dans un creux. 
 
Un peu de l’histoire revient :
Je suis assise sur une souche de chêne
et regarde la maison brûler,
mes cheveux une ruche nattée.
 
Des femmes se lèvent
par centaines des cendres.
Leurs visages sont des fenêtres sombres.
Elles transportent du ciel des carreaux de plâtre
couleur des œufs de rouge-gorge.
 
Elles marchent sur le bord
des tombes fracturées,
un tas de côtes dans
les courbes rayons de lumière.
 
Au douzième tour
elles s’éparpillent en fleurs étoilées.
Là où elles se sont agenouillées, les herbes
jaillissent vertes, les pages
de leurs robes se déplient.
Douze (ou encore quatre fois trois tours)  est un nombre rituel et sacré pour célébrer une cérémonie funèbre (n.d.t)
Magdalena’s Fire
 
The distance brims
with charcoal-colored plumes.
Lost on a trash-strewn desert highway,
rattlesnakes lick my thorn-torn shadow,
ghost trucks blare just to leave me in their dust
with a walking stick like a forked staff
and two sleek ravens, magnificently black,
oiled in the sun, lofting alongside me.
I will crawl from the blanket
of earth toward the sun,
peeling clouds from my back like locust shells.
I will follow the hawk toward the springs.
Cutting back limbs like umbilical cords,
the snakes cascade their ribbons around me.
I shake a red stick in the grass.
Unsnarling a wasp’s nest from the gnarled branch,
I trace its delicate paper chambers,
lay it down in a hollow.
Some of the story returns:
I am sitting on an oak stump
watching the house burn,
my hair a braided beehive.
Women rise
in hundreds from the ashes.
Their faces darkened windows.
They are carrying plaster tiles of the sky
the color of robin eggs.
They walk the rim
of the cracked open tomb,
stack rib bones into
beams of arced light.
On the twelfth round
they spread like an aster.
Where they had knelt, the grass
springs green, the pages
of their dresses unfurling.
 
 
Femme dans la rue avec du linge
 
Dans la cage du crépuscule
les pigeons gris se rassemblent.
Le bus est en retard. Foules du soir.
J’attends sous le linceul pourpre
du brouillard, cherche la lune
dans les flaques pelliculées d’essence.
Mais seuls les phares
des voitures éclaboussent.
Je traîne mon linge
comme un sac de pierre,
je m’assois sur le banc froid
en serrant fort les bras sur mon corps. Une femme décolle
ses habits comme des pétales.
Une ombre autocollante
abandonnée au mur.
Ici sous les lampadaires
ce qui me piste, je le suis.
Comme cette femme qui de son caddie vide
peigne le passé.
La laverie vide ouverte toute la nuit
fait tourner ses lumières blanches.
La marée de la nuit broute
mon ombre effilochée.
Je fais tomber deux pièces
dans ma sombre réflexion et des pigeons
depuis une gouttière se dispersent.
Mon ombre à présent détachée
est une flaque d’étoiles.
Mon empreinte dans le goudron
grouille de plumes. Mon corps est
lumière lunaire réverbérant de propreté.
 
 
Woman on the street with laundry
 
In the birdcage of dusk
the gray pigeons gather.
The bus is late. Evening crowds.
I wait beneath the purpling
shroud of fog, search for the moon
in oil-slicked puddles.
But it is only the headlights
of cars washing over.
 
I wait beneath the purpling
like a bag of stones,
I sit on the cold bench clutching
my body. A woman peels off
her clothes like petals.
A left-behind shadow
stickered to the wall.
Here under streetlamps
what trails me, I follow.
Like this woman combing past
with her empty shopping cart.
The vacant all-night Laundromat
whirs its white lights.
The tide of night grazes
the fray of my shadow.
I drop two coins
in my murky reflection and pigeons
scatter from a heaping gutter.
Detached now my shadow
is a puddle of stars.
My imprint in tar
teems with feathers. My body is
moonlight rippling clean.

     Dans ce premier recueil Jennifer nous entraîne dans une campagne aride et y fait vivre plusieurs récits qui explorent la quête d’identité, la culture, sa force de résistance et de survie en même temps que les pertes et le chagrin. On traverse des territoires où les seuls arcs-en-ciel sont ceux que l’on peut voir dans les traces d’essence coulées au sol. Mais ces poèmes ne sont pas une compilation de lamentations, bien plutôt ils nous montrent la complexité à être « soi-même », d’être humain, dans un monde comme le nôtre. Le personnage de Magdalena sert de fil rouge, elle nous fait vivre des états de conscience et d’âme qui nous permettent de comprendre ce qu’est la perte d’un être aimé, de sa maison ou encore ce qu’est l’identité quand elle perd ses contours, alors qu’en tant de lecteur nous suivons le chemin de la mémoire grâce à des images très concrètes et d’une force étonnante. La poussière, la cendre, le visage, le papillon de nuit et surtout la figure de l’oiseau comme le symbole de la douleur, accompagnent les poèmes. Il nous faut soulever chaque feuille et l’examiner pour y découvrir notre histoire, il nous faut expérimenter certaines recettes violentes pour savoir dans notre chair ce qu’il en est d’être regardé en tant qu’Indien aux Etats-Unis. En héritière de sa culture, communément avec les autres cultures Indiennes, toute quête, toute initiation se fait toujours en rapport avec un paysage, avec la terre, un environnement, les leçons apprises le sont au contact des éléments, d’un territoire et de son histoire qui sont aussi ce que nous sommes.  Jennifer qui est d’un caractère humble et modeste nous livre pourtant un livre ambitieux et fait la preuve du pouvoir de la poésie à nous émouvoir, à nous déplacer, à entrer dans l’univers de l’autre, à partager et à sentir ensemble plus qu’à se réfugier chacun dans des discours.  

     Laissons maintenant la parole à Jennifer qui a eu la gentillesse de répondre aux questions posées:

Béatrice Machet pour Recours au poème : Comprenez-vous l’écriture des auteurs Indiens comme un procédé de guérison et si oui, comment ?

Jennifer Foester : L’art, l’écriture, l’expression, le langage— ce dont des choses que les humains partagent et en tant qu’humains, je crois nous sommes toujours en train de travailler dans le registre de la guérison : qu’elle soit personnelle, sociale, collective ou spirituelle. Je ressens qu’écrire peut être une modalité de guérison pour tout le monde mais seulement parce que c’est une « avenue » pour la liberté d’expression. Ecrire est souvent considéré par la société comme un acte qui confère une « validité »— sans trace écrite, personne ne vous écoutera, ne vous fera confiance. Mais même lorsque nous écrivons, on ne nous écoute pas. Ce qu’il est important de voir à propos de l’écriture et des Indiens, c’est que les auteurs Indiens émergent de deux cents, trois cents ans d’histoires, de chants, d’écrits et de croyances, de langues, qui ont été réduits au silence. Ce pays n’a pas reconnu ses auteurs Indiens même si les Indiens d’Amérique du nord ont produit des écrits, (en anglais et dans leurs langues maternelles) depuis le début du dix-septième siècle (et même plus tôt si l’on prend en compte les écrits comme les pictographies). Mais ces travaux, et plus spécialement la poésie, restent dans l’obscurité. La littérature américaine a longtemps été influencée par la pensée des cultures indigènes, par leurs traditions et récits, mais pourtant il lui reste à reconnaître respectueusement cette influence. Donc les auteurs Indiens aujourd’hui effectivement s’inscrivent dans un procédé de guérison, soigner ce que la violence subie nous a fait endurer, violence qui a réduit au silence nos paroles, nos pensées, nos opinions, et nos connaissances.

R.A.P : Vous sentez-vous faire partie de ce mouvement de “homing in”, de « retour chez soi », comme beaucoup de poètes Indiens le poursuivent ? Peut-on dire que votre poésie est éthique ?

J.F : Même si de nos jours il y a beaucoup d’auteurs Indiens qui écrivent et qui sont lus, aujourd’hui la lutte pour une reconnaissance éthique continue (reconnaissance de la société des réalités historiques et contemporaines des Indiens de nos jours). Donc je ressens que dans mon travail la dimension politique et éthique est importante, bien que jamais je n’écrive de poèmes comme s’ils devaient être des documents politiques. Je pourrais dire par contre que ce sont des documents éthiques parce que lorsque j’écris je travaille en relation et avec un langage de vérité, un langage proche du cœur humain et qui vit dans la compassion. Mais mes poèmes ne sont pas écrits avec l’intention de parler à, de définir ou de viser ou de suivre un quelconque mouvement. Néanmoins je reconnais et rend hommage à mon héritage qu’il soit historique ou politique ; je suis consciente que mon travail existe, compte, a un impact et à cause de cela je suis responsable et je me dois de dire la vérité—à propos de l’histoire, au sujet des gens, à propos de toutes les idées fausses, des arrogances et des préoccupations qui ont et continuent de conduire à la privation des droits civiques des Indiens et de leurs communautés. De cette façon je peux me dire alignée, faire partie d’un « mouvement » mais j’espère que je le suis en écrivant simplement de la poésie, et en le faisant, faire tout ce que je peux pour encourager, soutenir et entrer en dialogue avec les autres artistes indiens et leurs œuvres, et que de cette manière je vis éthiquement et que je contribue à la guérison, à la revitalisation des communautés Indiennes de ce pays et de leurs membres. 

R.A.P : Vous sentez-vous sur la même longueur d’onde que certains auteurs Indiens et si oui lesquels ? (de l’extérieur on a l’impression d’un milieu divisé en clans avec différentes façon de comprendre la résistance et la survie, par exemple Elizabeth Cook-Lynn et d’autres personnes engagés dans l’American Indian Movement, ou encore différentes façons de voir la nécessité de ce que Gearald Vizenor appelle le « postindien » et je suppose que ces différences sont aussi générationnelles avec pour chaque génération des problèmes particulier à affronter..)

J.F : Je ressens un profond respect pour les auteurs Indiens qui m’ont précédée, qui écrivent aujourd’hui en même temps que moi, même si je peux me trouver stylistiquement non alignée sur leur style. Je crois qu’il est crucial pour nous tous, lecteurs et écrivains, d’avoir une ouverture d’esprit quand nous lisons des auteurs Indiens. Bien sûr nous sommes tous différents de même que les auteurs « blancs Américains » ou « Français » le sont. Il n’y a pas que des différences générationnelles ou bien de situations socio-économiques, il y a des différences de personnalités, de choix formels, de styles. Parmi ma génération, nous les auteurs avons des préoccupations variées qui touchent les domaines de la vie politique, sociale et économique réelle qui ne sont pas seulement différentes de celles qu’ont affrontées les trois générations avant nous, mais différentes car nous venons de différents milieux, n’avons pas été forcément élevés de la même manière, n’avons pas vécu aux mêmes endroits, etc. Nous adoptons et avons des préoccupations stylistiques différentes. Parmi la génération actuelle des poètes Indiens, je sens que nous partageons une vue semblable en ce qui concerne les thèmes de la résistance et de la survie, en ce que nous nous y sentons tous engagés,  mais nous travaillons cela de façon différente dans nos écrits. Nos œuvres sont très diverses aujourd’hui­ – et pour moi c’est le signal d’une résistance victorieuse. Alors que « nous » en tant qu’auteurs Indiens nous identifions à un engagement  socio-politique commun, nous nous autorisons des tons et des styles différents, très variés, multiples, uniques, surprenants, expérimentaux,  et ce sont ces choses qui font de nous des artistes.

Magagdalena’s passage

1.

After the fugue
only echoes from the plains.
Dragon scales like plucked stars
glimmer on the sill
from where the boats docked
and sailed.

 

2.

Fireworks fizzle in the silver waves.
I examine the expanse left for us:
 stars. You had said we were meant to be
walking among them,
a flux of us like milk streams
pouring across the sky.
But here on this windswept
ledge of land—no footprints.
Just armies of ghosts ferrying the coast
with a flourish of sparklers and flags,
bracelets of trade beads*
flung to the shore
my restless waves hum over.

 

3.

Sweet Chariot*—I also sang
as your bones were drained.
Platelets of seedlings
compressed into jars, cyclones
sketched onto television screens.
You had said they were meant to be
swirled into my blood. The songs.
The interior map of the seed.
Only a conch shell remains.
Tattered pigeons
roosting in a shopping cart,
the rusted tin of a Texaco star
jutting upwards from the sand,
refrigerator stocked
with Pegasus gas cans
framing the blue hands of the sea.

 

4.

Who named the map of you as vanishing?
Who cut the sandstone tablet
and there engraved your dream?
Its seeds have been stolen.
The encodings inside them
transcribed, and forgotten.

 

5.

Because you have no burial place
I stand in the mirage that marks you:
smoke tree billowing from splintered mud.
I trace your alluvial face in the sand,
twine your wing with reed grass—
on the breast of a lava stone
weave you a nest
out of saltbush branches,
bread crusts, blood.

 

6.

Beneath the patchwork
quilt of your deathbed:
dunes.
Shutters of the rotting farmhouse
flap open in the wind.
Behind me
ashen fields,
names that have burned in them.

 

7.

They carried us in cedar caskets. Marched in droves to beaches. Like
crabs they fastened tin to their backs. I recorded their stacks of maps and
clocks; car scraps, tire swings, smashed and rusted airplane wings; the
last cans of tuna fish, jelly jars, Kodak film, batteries—

they rigged a radio
from electrical debris,

                                                                        sewed our skin into sails.

 

8.

I remember the afternoon it arrived—the tempest
that tore the roots from their holding,
swept the burnt-out stars from pavement,
flat on their backs, black shadows of leaves.
You were wrapped in quilts in a farmhouse.
Shutters of wind latched shut.

The last of the oil lamp
smolders the glass.

In night’s clenched fist—
         a passage.

 

Le passage de Magdalena

1.

Après la fugue
seuls des échos venant des plaines.
Des écailles de dragon comme des étoiles arrachées
luisent sur le rebord
où les bateaux s’arrimaient
depuis lesquels ils voguaient.

 

2.

Les feux d’artifice pétillent dans les vagues argentées.
J’examine l’étendue qui nous reste :
des étoiles. Tu avais dit que nous étions censés
marcher parmi elles,
un flot de nous comme des courants de lait
se déversant dans le ciel.
Mais ici sur ce bord de terre
balayé par le vent—pas d’empreintes de pas.
Seulement des armées de fantômes convoyant sur la côte
une floraison de cierges et de drapeaux,
des bracelets de perles de verre* 
jetés sur le rivage
mes vagues inquiètes fredonnent par-dessus.

 

3.

Sweet Chariot*—je chantais aussi
alors que tes os étaient vidés.
Plaquettes de semences
compressées dans des jarres, des cyclones
étalés sur des écrans de télévision.
Tu avais dit qu’ils étaient censés être
enroulés dans mon sang. Les chants.
La carte intérieure de la graine.
Seule une conque reste.
Des pigeons en lambeaux
perchés sur un caddie,
une étoile Texaco en fer rouillé
éjectée du sable,
un réfrigérateur rempli
de bidon d’essence Pegasus
encadrent les mains bleues de la mer.

 

4.

Qui a donné le nom de disparaissant à la carte de toi ?
Qui a coupé la tablette de grès
et y a gravé ton rêve ?
Ses graines ont été volées.
Les codes contenus dedans
transcrits, et oubliés.

 

5.

Parce que tu n’as pas d’endroit où être enterré
je me tiens dans le mirage qui indique ta présence :
fumée d’arbre flottant depuis la boue fendillée.
Je trace ton visage alluvial dans le sable,
je ficelle tes ailes avec du jonc—
sur la poitrine d’une pierre de lave
je te tisse un nid
de branches de bourrache,
croûtes de pain, sang.

 

6.

Sous la couverture
patchwork de ton lit de mort:
des dunes.
Les volets de la ferme en ruine
battent dans le vent.
Derrière moi
des champs réduits en cendres,
des noms qui ont brûlés dedans.
 

 7.

Ils nous transportent dans des cercueils de cèdre. Défilé de foule vers la plage. Comme
les crabes ils attachent des boîtes de conserve sur leur dos. J’ai enregistré leurs tas de cartes et de montres; des débris de voiture, des ressorts de roues, des ailes d’avion rouillées et écrasées ;
les dernières boîtes de thon, des pots de gelée, des films Kodak, des piles électriques—

 

ils ont bricolé une radio
à partir des rebus électriques,

               ils ont cousu nos peaux pour en faire des voiles.

 

 

            8.

Je me souviens de l’après-midi où c’est arrivé—la tempête
qui arracha les racines de leur logement,
qui balaya les étoiles éreintées du trottoir,
plates sur leur dos, les noires ombres des feuilles.

 

Tu étais enveloppé de couvertures dans une ferme.
Les volets de vent verrouillaient le loquet.

 

Le reste de pétrole de la lampe
couve le verre.

Dans le poing fermé de la nuit—
          un passage.

 

*trade beads: perles de verre pour la traite des esclaves. Les perles étaient utilisées comme monnaie. 

*Sweet Chariot : chant de type Negro Spiritual. (n.d.t)

     C’est ainsi qu’il nous faut lire et entendre Jennifer Foester, cette jeune voix Indienne : il faut nous mettre dans le sillage de ses mots et passer avec eux pour contempler, comprendre, voyager, compatir, partager, savoir, ne plus savoir, mais faire une expérience pleine de la condition humaine à la croisée des cultures et des communautés, et se laisser emporter sur le souffle inspiré de son héritage Indien qui façonne son être.