L’atelier de Layli Long Soldier

 

     La poésie de Layli Long Sol­dier est car­ac­téris­tique en ce qu’elle utilise la dimen­sion linéaire de l’écriture pour faire danser les mots et pour don­ner du relief aux inflex­ions tonales. Sa mère jouait du piano et tout naturelle­ment Layli a inté­gré la musique à son mode de vie. Elle avoue : « Enfant, pour moi le son con­dui­sait l’émotion la plus pure ».  Elle pré­tend que ses dons pour le chant ou la pra­tique d’un instru­ment ne lui ont jamais per­mis d’envisager une car­rière (elle a chan­té et joué de la gui­tare basse dans un groupe) mais sa pas­sion par­al­lèle pour l’écriture l’amènera à devenir cette jeune auteure si promet­teuse. « Il y avait une artic­u­la­tion que je trou­vais dans l’écriture et que je ne pou­vais accom­plir avec la musique, aus­si pra­ti­quer les deux c’était comme exercer la main droite et la main gauche de mon corps. La droite c’était pour la musique, celle qui atteignait et pre­nait ; la gauche c’était la silen­cieuse, celle qui cher­chait, rassem­blait mots et phras­es, vire­voltait et vagabondait, con­dui­sait des inves­ti­ga­tions».  Layli dit que le lan­gage pos­sède une curiosité ludique et que le corps du poème sur une page représente une cer­taine quan­tité d’énergie.

     La richesse de la poésie de Layli Long Sol­dier tient au fait qu’elle exprime et assume plusieurs iden­tités. Mère, Indi­enne, pro­fesseur, et d’autres encore… Elle admet avoir eu peur de rater sa vie et aujourd’hui encore elle con­fesse : « l’art ne m’évitera pas d’être une mau­vaise mère, la poésie ne me sauvera pas, pas plus que penser ». Elle dit aus­si que ce qui la main­tient sur la route avec la volon­té d’y être pru­dente c’est le « tu » du poème, à savoir sa fille qui lui con­fére son titre de « maman ». Cette rela­tion est chargée de toute la for­ti­tude, courage et opiniâtreté, qu’il y a à être dif­férente, c’est-à-dire Sioux, Oglala Lako­ta.  Elle déclare: « j’espère que vien­dra le temps où les améri­cains de souche européenne représen­tant le courant dom­i­nant pour­ront con­sid­ér­er les com­mu­nautés Indi­ennes, leurs cul­tures et leurs points de vue en tant qu’héritage nation­al, parce que c’est celui-là qui est le leur dans le sens d’une appar­te­nance à une terre».  Il faudrait qu’arrive ce temps où les gens se con­nectent à cet endroit au moment où ils y sont et de façon col­lec­tive. « De cette façon nous allons de l’abstrait vers le détail. De l’invisibilité vers l’individuel puis le com­mu­nau­taire. Et ce mou­ve­ment de recon­naître nos dif­férences sera un geste de respect. Nos cul­tures indi­ennes refusent d’accepter la général­ité : nous deman­dons et atten­dons le spé­ci­fique. Cette façon par­ti­c­ulière d’entrer en rela­tion con­duit à un cer­tain degré de com­plic­ité », et à la réelle com­préhen­sion me per­me­t­trai-je d’ajouter.

     Layli pos­sède une licence en écri­t­ure créa­tive obtenue à l’institut des arts Amérin­di­ens de San­ta Fe (Nou­veau-Mex­ique). Elle a ter­miné cet été même sa maîtrise à Bard Col­lege à New-York. Elle vit à Tsaile, sur la réserve Nava­jo en Ari­zona, avec son mari Orlan­do White lui aus­si poète, et leur fille Chance. Elle est enseignante à l’université Nava­jo Diné col­lège. Son pre­mier recueil de poésie est inti­t­ulé Chro­mo­so­mory (Chro­mo­so­moire) et est paru en 2010 chez Q Ave Press (des extraits traduits de ce recueil ont été pub­liés dans la revue l’Intranquille‑N°4 et 5, des Ate­liers de l’agneau. D’autres poèmes ont été mis en ligne sur le site la Toile de l’Un, rubrique sur le dos de la tortue). Elle s’essaie aus­si à la sculp­ture et aux arts plastiques. 

 

This  for dg okpik (poète esquimau)— Ceci pour dg okpik

A cette heure, un sceau cacheté sur le corps   de ce corps, les jambes de larmes courent     dans nos jambes,
la ten­sion d’un har­nais                                      dans la ten­sion, la blanche gaze d’un nuage couvercle
dans ces nuages, le pro­jeté brusque l’emplumé d’une flèche                                                à la flèche,
tempe et front                    sur notre front, la tor­sade des mots                                  dans chaque mot,
notre mère notre mère         comme nos mères, sang et per­mis­sion             comme nous permettons,
le champ est ouvert                                                                     ce qui est ouvert, le calme d’une biche
comme une biche, nous man­geons la tête basse                                    dans nos têtes, dans nos têtes.

 

     Layli est entrée dans les class­es d’écriture créa­tive dans le but de servir ses curiosités et intérêts du moment. Elle n’a jamais pen­sé qu’elle y prendrait autant de plaisir, encore moins qu’elle s’y épanouirait et qu’elle y con­sacr­erait tou­jours plus de temps. Elle dit qu’écrire main­tenant lui pro­cure une joie solide et pro­fonde. Elle dit qu’après toutes ces années d’apprentissage elle en a retiré une leçon de vie, écrire lui a enseigné ce que peut la patience. « En prenant mon temps avec le poème, » dit-elle,  « je suis tou­jours sur­prise par ce qui finit par arriv­er et à se met­tre à exis­ter dans le lan­gage et par son biais. (Le lan­gage étant le plus immatériel des matéri­aux qu’utilise l’art.) Ces sur­pris­es ont trans­for­mé ma curiosité en réel amour pour l’écriture». 

 

Vol funéraire pour Mark Tur­cotte (poète Anishi­naabe ;(N.d.T)

 

Mort né               bercé sur                 la poitrine du père      une maison

lattes de bois       don­nent non-nais­sance      aux non-lèvres pareilles      à des gerçures bleues

                    corde lit                                         chair pièce humides

          bon Dieu                  le père        la trac­tion                      sa tête

                                                    une fenêtre                       l’eau stries com­ment               les oiseaux pense-t-il

        l’encer­clent                                  et l’ap­prochent                 font retraite         un mil­li­er au total

                                                                                                                             sang ailes secousse

       un chant de non-poumons             aimants appel                  Papou Papa Père Pa

neige vis­age              toit creux les lumières      rouges et blanch­es             aux coins des murs

 

 

     Dans son poème vol funéraire, Layli explose la forme et fait explos­er les sons, notre expéri­ence est comme éparpil­lée dans le chaos domes­tique mais avec une sorte de déli­catesse. Le mou­ve­ment est inscrit dans et s’évade de l’immobile. C’est le pre­mier poème que Layli ait écrit pour lequel la forme s’est imposée en pre­mier. «Avant que les mots ne soient posés sur la page, je savais à quoi je voulais que le poème ressem­ble, en quelque sorte la forme a déter­miné le con­tenu et cela en oppo­si­tion à Charles Olson qui affirme que le con­tenu déter­mine la forme. J’ai écrit ce poème en réponse à celui de Mark Tur­cotte inti­t­ulé “A Blur of Echoes.” La lec­ture que Mark en avait faite m’avait beau­coup touchée. C’était à pro­pos de la perte d’un enfant à la nais­sance. Après cette lec­ture j’ai dis­cuté avec lui des effets de cette perte sur la mère et sur lui qui se trou­vait être le père. De retour chez moi, j’ai écrit des mil­liers de poèmes sur la mater­nité, sur l’expérience fémi­nine de la nais­sance mais le poème de Mark a attiré mon atten­tion sur la rela­tion du père aux enfants. Dans le cas de Mark je n’arrivais pas à imag­in­er cette perte de l’enfant à peine arrivé, et la présence de l’image des oiseaux dans son poème m’avait sec­ouée pen­dant des semaines. Alors quand je me suis assise pour écrire et lui répon­dre, je voulais que mon poème ressem­ble à une for­ma­tion d’oiseaux en vol au tra­vers de la page. Je ne sais pas si j’y ai réus­si mais c’était mon inten­tion. Pour moi les cour­tes phras­es représente le moment déli­cat et frag­ile de la grossesse. Ces frag­ments sont comme les bébés, petits, et pêts à s’envoler pour l’au-delà prêts à rejoin­dre les petites tâch­es dans le ciel. Et oui bien sûr les césures offre de l’immobile, un espace de silence où se con­cen­tre la vio­lence qui tran­scende toute l’imagerie don­née par le lan­gage. De plus chaque phrase devant être courte, cela m’a poussé à choisir des mots d’un, deux ou trois syl­labes; des mots qui har­nachent les car­ac­téris­tiques de l’enfance : mai­son, oiseaux, perte, et qui ouvrent un ter­ri­toire pour l’émotion et le spir­ituel, le tout con­court aux logopoeia et melopoeia du poème (cf Ezra Pound, phanopoeia, logopoeia et melopoeia, trois modes qui char­gent le lan­gage d’énergie. N.d.T)

     Layli trou­ve en ses anciens pro­fesseurs et cama­rades de classe de l’institut des arts amérin­di­ens, le sou­tien dont elle a besoin. La chaleur d’une com­mu­nauté d’artistes et d’écrivains lui est un con­fort non nég­lige­able. Echang­er, dis­cuter les prob­lèmes pro­pres aux dis­ci­plines artis­tiques et lit­téraires, avoir des retours et des cri­tiques sont des encour­age­ments pour elle. Elle dit même volon­tiers qu’il lui sem­ble que ces voix amies sont aus­si sa pro­pre voix. Elle se sent pro­fondé­ment impliquée dans leurs pro­jets et ce qu’ils font, la réciproque est aus­si vraie. Elle par­le de cet ancien pro­fesseur joint pour avoir son avis sur le bien­fondé de la vir­gule et qui avait pré­paré pour elle des tas de livres util­isant la ponc­tu­a­tion la moins tra­di­tion­nelle. Il lui avait accordé des heures de dis­cus­sion. Est-ce que les gens font cela dans la vie ordi­naire s’exclame-t-elle pour exprimer son sen­ti­ment ent­hou­si­aste de vivre l’extraordinaire, ce grâce à la poésie. Elle cite aus­si les noms  de Joy Har­jo, de Luci tapa­hon­so, de Lau­ra Tohee, de Susan Pow­er, aînées et renom­mées, auteures pio­nnières, Indi­ennes tout comme elle, et dont elle a dévoré les livres pen­dant ses années d’études.  Ces poètes l’ont mis sur les rails de la poésie en quelque sorte, et chaque fois qu’elles lui man­i­fes­tent leur appro­ba­tion et sou­tien, chaque fois qu’elles lui mon­trent qu’elles suiv­ent son tra­vail, Layli con­fesse com­bi­en cela la porte, lui per­met d’aller de l’avant.

     A pro­pos du tra­vail de Layli Long Sol­dier, Mag­gie Nel­son de la PEN organ­i­sa­tion écrit : «  La pre­mière fois que j’ai lu Layli Long Sol­dier, je suis tombée sous le charme, ce n’est pas exagéré de le dire. Avec Where­as, elle nous offre le tran­chant d’une pen­sée et d’un tra­vail d’écriture qui mon­tre les rap­ports pos­si­bles entre les dis­cours poli­tiques et la capac­ité lit­téraire d’y répon­dre. Ici Layli répond avec sen­si­bil­ité, force et gen­til­lesse, avec con­fi­ance mais avec tant de ques­tions que je me suis encore une fois trou­vée sous le charme, admi­rant et savourant chaque inven­tion verbale. »

 

 

Extrait  de Where­as qui est une réponse à la réso­lu­tion du con­grès de présen­ter des excus­es aux Indi­ens d’Amérique (2009).

 

Un same­di de décem­bre 2009, le prési­dent Barack Oba­ma sig­nait le Con­gres­sion­al Res­o­lu­tion of Apol­o­gy to Native Amer­i­cans. Aucun dirigeant trib­al, aucun représen­tant des nations Indi­ennes n’étaient invités à recevoir et assis­ter aux excus­es. Le prési­dent n’a jamais lu publique­ment et à voix haute ces excus­es- bien qu’il ait été con­signé que plus tard le séna­teur  Brown­back avait lu ces excus­es devant cinq représen­tants trib­aux (garder en mémoire qu’il y a 566 tribus offi­cielle­ment recon­nues par l’état Améri­cain.) Et ces excus­es étaient insérées dans un décret lég­is­latif plus large et sans rap­port avec elles, nom­mé Defense Appro­pri­a­tions Act (ou décret sur les acqui­si­tions mil­i­taires). Ce qui suit est ma réponse aux excus­es autant qu’au lan­gage, élab­o­ra­tion et écri­t­ure du dit doc­u­ment. Les faits sont ce qu’ils sont, et je ne veux pas atta­quer le prési­dent Oba­ma, ni un politi­cien en par­ti­c­uli­er, ni aucun par­ti poli­tique ; je ne suis pas affil­iée à un par­ti. Mais néan­moins je suis citoyenne des Etats-Unis ain­si que de la tribu Sioux Oglala- c’est une dou­ble citoyen­neté au sein de laque­lle je dois tra­vailler, je dois manger, je dois créer, je dois mater­n­er, je dois lier ami­tié, je dois écouter, je dois observ­er, et con­stam­ment vivre.

 

ATTENDU QUE mes yeux se posent sur la déc­la­ra­tion, « atten­du que l’arrivée des Européens en Amérique du nord a ouvert un nou­veau chapitre dans l’histoires des peu­ples Indi­ens. » En d’autres cir­con­stances, je hais l’acte de rire quand heurtée blessée ou en dan­ger. Cette amère dis­sim­u­la­tion. Ma fille emprunte de nou­velles habi­tudes à ses amies. Elle a cou­ru, trébuché, glis­sé, tombée sur les genoux et paumes sur l’asphalte.

Ils l’ont trans­portée dans la cui­sine. Elle est juste tombée, elle saigne ! je sur­sautai. Des courants d’un rouge pro­fonds coulaient de ses bras et jambes, des traces sur les pavés blancs. Je regar­dais son vis­age. Un sourire

la fai­sait fris­son­ner. Un rire, nerveux. Faisant ce que ses amis fai­saient, elle avait le courage d’un nou­veau com­porte­ment- je ne peux le nom­mer mais je peux le repér­er. Arrête ma fille. Si tu t’es fait mal, pleure. Tu dois

mon­tr­er tes sen­ti­ments afin que les autres sachent, afin que nous puis­sions t’aider. Comme ça. Elle a lais­sé se répan­dre une inon­da­tion depuis le salon jusqu’à la salle de bains. Puis une eau douce ver­sée et je lavais

pré­cau­tion­neuse­ment d’un léger effleure­ment à l’aide d’une com­presse de coton. Je lui fai­sais face je me sou­ve­nais, dans notre mai­son dans notre famille nous sommes nous-mêmes, de vrais sen­ti­ments. Tu peux l’être avec les autres, vraie. Je l’envoyai

s’allonger sur le divan et regarder un film l’encourageant, t’en fais pas. Pour­tant je suis sérieuse quand je dis que je ris en lisant la phrase  « a ouvert un nou­veau chapitre. » je ne peux empêch­er mon corps. Je trem­ble. La triste

réal­i­sa­tion que cette phrase man­i­feste en la mon­trant. Le fris­son de ma fille n’est pas nou­veau- mais relève d’une très anci­enne pra­tique pro­fondé­ment ancrée qu’elle a héritée de moi à me regarder ;

ATTENDU QUE je fatigue. A cause de mon effort de le faire aller ensem­ble avec l’effort de la déc­la­ra­tion : « Atten­du que les Indi­ens et les colons non-Indi­ens s’engagèrent dans de nom­breux con­flits armés qui des deux côtés mal­heureuse­ment, ôtèrent la vie à des inno­cents, y com­pris celles de femmes et d’enfants. » Je fatigue

à m’engager dans de nom­breux con­flits, fatiguée de l’expression des deux côtés. Deux côtés en tant que femme et enfant à cet atten­du que. Deux côtés des paroles et des jeux de mots, faisant bosse au-dessus des dic­tio­n­naires. Fatigue de se référ­er aux ter­mes tels que fatigue, de com­pren­dre lasse, affaib­lie, exténuée, force réduite à cause du labeur. Marre. En Lako­ta, fatigue c’est oki­ta qui sig­ni­fie fatigué. Devrais-je pré­cis­er que j’en ai marre. Pour­tant sous la rubrique oki­ta j’ai trou­vé le terme wayuh’anhica, qui sig­ni­fie exténuer un cheval de ne pas savoir com­ment le mon­ter pro­pre­ment. Suis-je oki­ta ou est-ce que je wayuh’anhica?

Dans mon effort à pouss­er et tir­er le lan­gage, com­bi­en dois-je tra­vailler pour con­cré­tis­er ici ce qui est réel. Réelle­ment, je mesure 1 mètre-77cm. Réelle­ment, je dors du côté droit. Réelle­ment, je me réveille après huit heures de som­meil et mes yeux pen­dent comme deux car­rés d’ardoise. Réelle­ment, je suis bloki­ta très fatiguée. Réelle­ment, c’est une affaire de wayuh’anhica, qui sig­ni­fie que j’ai exténué le cheval parce que je ne sais pas pro­pre­ment le mon­ter. Je grimpe les dos des lan­gages, les chevauche et les mène à des con­flits textuels- peut-être que je tire les rênes quand je veux dire va. Peut-être que j’éperonne quand je veux descen­dre. Cela a‑t-il une impor­tance. Oki­ta, je suis blo­quée, je veux sor­tir. De la répéti­tion, mon élan à not­er : atten­tion, le cheval ici n’est pas une référence à mon héritage ;

ATTENDU QUE sa nais­sance sig­nifi­ait à la mère sa respon­s­abil­ité d’enseigner ce que c’est que d’être Lako­ta alors cette ques­tion : que savais-je au sujet d’être Lako­ta ? Sig­nifi­ait panique, le rouge aux joues de mon embar­ras. Que savais-je de notre lan­gage sinon des bribes ? Lui apprendrai-je à être morceaux. Jusqu’à ce qu’un ami me con­sole, ne t’inquiète pas, toi et ta fille appren­drons avec nous. Aujourd’hui elle se tient devant moi et au cen­tre de sa fierté dans le salon pour partager une chan­son Diné, le lan­gage de son père. Ses mains chantent les gestes en même temps je la regarde être musiques mul­ti­ples. Lors d’une cérémonie

pour hon­or­er le pre­mier poète lau­réat de la nation Diné, un speak­er explique que chaque peu­ple a reçu sa langue à attein­dre. Je com­prends attein­dre active­ment, un mou­ve­ment. Il offre une prière et une intro­duc­tion à l’héritage de la langue. J’écoute j’atteins mes yeux avec mes mains, mes mains sur mes genoux, mes genoux tels une page calme où je tiens ma fille. Je la berce, en avant, pour entamer une conversation

à pro­pos des langues mater­nelles en oppo­si­tion aux langues d’adoption, com­ment se forg­er une appar­te­nance. Je fais des rap­proche­ments je bouge en mesure avec des références à Der­ri­da, maître penseur du lan­gage qui pen­sait à sa mère aus­si. Rela­tions mère-enfant et enfant-mère, est-ce que c’est post­mod­erne. Comme sa mère souf­frait des effets négat­ifs d’une attaque il écrit : je lui demandais si elle avait mal (oui) alors où ? […elle] répond à ma ques­tion : j’ai mal à ma mère, comme si elle par­lait pour moi, à la fois dans ma direc­tion et à ma place. Sa mère, qui par­lait à sa place de sa douleur et pour elle-même de la sienne, le fai­sait-elle en tant qu’une seule et même. Pour­tant Der­ri­da  pro­poserait une com­préhen­sion du mot mère parce ce qu’elle n’est pas. En avant, en arrière. Je lève mes pieds

tan­dis que mes orteils touchent le sol je me sou­viens de l’impossibilité lin­guis­tique d’une iden­tité, comme si n’importe lequel de nous ne pou­vait jamais être iden­tique. A qui, à quoi? Peut-être au Pas. Je tiens ma fille con­fort­able­ment et lui dis iyo-tan­chi­lah mi-chuwin­tku. C’est vrai je ne sais pas com­ment écrire notre langue sur la page cor­recte­ment, l’écrit prend de nom­breuses formes

oui je sais qu’elle com­prends grâce à notre mou­ve­ment. Bercer, dans ce pays au si nom­breux lan­gages les rap­ports nationaux dis­ent que les langues Indi­ennes se meurent. Le nom­bre les enfants locu­teurs et des enseignants âgés dimin­ue, nous le tenons des infor­ma­tions publiques. Mais chez nous son père et moi n’enseignons pas les sta­tis­tiques, dans ce mourir veux-je dire. Atten­du que nous ressen­tons défi­ance- le plus proche de dif­fer­ance que je puisse trou­ver. Pour­tant je le confesse

il y a de nom­breuses heures passées à écrire pour s’entretenir avec un doc­u­ment nation­al qui nous con­cerne, nous, ma famille. Des heures seule à penser, sans. Mon espoir : ma fille com­prend le tout pour ce qu’il est, pas pour ce qu’il n’est pas, tout pour cela            les morceaux; 

ATTENDU QUE je sirote l’eau froide de l’hiver figée sur les aigu­illes des pins, j’en garde encore le goût des jours après. Quand seule je m’éveillais des rideaux gris brûlaient au lever du soleil et ma gorge descendait au trou-puits, une tein­ture de ces aigu­illes vertes me trans­for­maient. Com­ment devrais-je racon­ter en détail, quand est-ce que c’est trop. Quand ma mère se creuse, je l’écoute. Nous par­lons d’une enveloppe pour les reçus, de café noir tor­ré­fié et de l’agrafeuse que je voulais emprunter au voisin. Dans les plus petites choses je regarde l’aiguille de la bous­sole de la con­ver­sa­tion enreg­istr­er son retour au cen­tre. Mère qu’est-il advenu de nous, de ton ancien toi. Fille pour mère, nous-mêmes au présent. Citoyennes au pays, ancien et passé pour le présent ou, est-ce une affaire de présence ? Ma fille ne l’aurait pas fait plus jeune mais cette année elle le voulait. Pour son anniver­saire, une oreille per­cée. L’aiguille-pistolet fait mal pen­dant seule­ment un court instant la ras­sure-t-on. Au bon vieux temps, grand-mère avait main­tenu de la glace sur mes lobes puis avait per­cé avec une aigu­ille à coudre. Ce sera plus facile pour toi, dis-je pour l’encourager. Elle court dans le cen­tre com­mer­cial vers la chaise où l’aiguille l’attend, elle sourit. Impa­tience, le point d’émotion de la présence. Je veux écrire quelque chose de gen­til, alors que les choses du pays et de la poli­tique, de la nation, et de nation à nation, brû­lent, m’ont tatouée. Aigu­ille-Rouge-Enflam­mée m’a mar­quée. Pour­tant dans la pos­si­bil­ité de l’encre au tra­vers de l’aiguille, l’image plus grande arrive grâce à un mil­li­er de gouttes de sang. Il y a longtemps les os ser­vaient à façon­ner des aigu­illes. Si je pou­vais choisir, c’est cet out­il que j’utiliserai ici, une aigu­ille d’os pour pénétr­er la peau. Pour injecter l’encre le rap­pel per­ma­nent : je suis ici je ne suis pas/in­sen­si­bil­isée-réduite à un sim­ple point ; 

ATTENDU QUE j’ai lu dans un jour­nal New yorkais un arti­cle relatif à la séques­tra­tion fédérale de fonds prévus pour les réserves, les réduc­tions. Des promess­es fédérales et des traités. L’article détaille les con­di­tions de vie sur les réserves celles où le taux des sui­cides est de dix fois plus élevé que pour le reste du pays. Dedans l’histoire d’une fil­lette de douze ans dont la mère était morte et qui ne con­nait pas son père elle rebon­dit d’orphelinat en mai­son en foy­er d’accueil, lasse. Je remar­que comme l’auteur si banale­ment informe des abus sex­uels répétés qu’elle a subis. Et pour le suivi psy­chologique, les ser­vices sont indisponibles. Il y a une clin­ique qui n’a plus d’argent après le mois de mai, ne tombez pas malade après le mois de mai est le mes­sage impor­tant. Pen­dant que je lis je pleure je pleure tou­jours et ici je dois le être claire mes pleurs n’indiquent pas la tristesse. Plus bas je lis un com­men­taire qui suit l’article :

Je suis une jeune-fille de 14 ans et j’ai récem­ment vis­ité la réserve de______dans le Dako­ta du sud avec mon groupe. Les con­di­tions dans lesquelles les Indi­ens vivaient étaient choquantes. Quand je suis arrivée chez moi, j’ai écrit une péti­tion sur le site maisonblanche.org pour que le gou­verne­ment des Etats unis présente des excus­es et offre répa­ra­tion aux peu­ples Indi­ens. Cette péti­tion restera jusqu’au 23 juil­let seule­ment, donc s’il vous plait signez et faites cir­culer !!!Votre sig­na­ture sig­ni­fiera beau­coup pour de nom­breuses per­son­nes. Merci. 

Chère jeune-fille de 14 ans je veux écrire. Le gou­verne­ment a déjà formelle­ment présen­té des excus­es aux peu­ples indi­ens au nom d’un vous pluriel, votre groupe de jeunes, votre mère et père, vos meilleurs amis et leur famille. Vous comme tous les citoyens Améri­cains. Vous n’étiez pas au courant, je sais. Et pour­tant oui, Chère-Jeune-fille les con­di­tions sur les réserves ont changé depuis les excus­es. Je m’explique, les excus­es ont été suiv­ies d’une séques­tra­tion budgé­taire. Pour le vocab­u­laire ordi­naire, séques­tra­tion est une réten­tion, ban­nisse­ment ou exil. En ter­mes de loi cela sig­ni­fie saisie pour met­tre en lieu sûr mais s’est trans­for­mé, afin de sig­ni­fi­er, pour ce qui con­cerne le bud­get fédéral : sujet à coupe, au mieux c’est ce que je com­prends. Chère-Jeune-fille je suis allée aux ser­vices médi­caux de san­té Indi­ens pour soign­er une dent, une douleur com­pliquée. Les soins de san­té Indi­ens sont garan­tis par traité mais à la clin­ique les fonds lim­ités n’autorisent pas de soign­er au-delà d’un plom­bage. La solu­tion offerte : l’arracher. Sous les pinces les masques et les lumières de la clin­ique, une dent qui aurait pu être sauvée fut placée dans ma paume pour que je la prenne après séques­tra­tion. Je ne partage pas ceci pour invec­tiv­er la souf­france, les faits sont ce qu’ils sont je partage pour expli­quer. Chère-Jeune-fille, je rends hon­neur à votre réponse et j’agis. Bien qu’à la racine de répa­ra­tion il y ait réparée. Ma dent ne repoussera plus jamais. La racine, partie.

 

     Voilà com­ment Layli Long Sol­dier trou­ve le moyen d’exprimer la réal­ité Indi­enne. Atten­du que son mes­sage et sa manière sont suff­isam­ment puis­sants, je me vois dans l’impossibilité tout sim­ple­ment d’essayer d’ajouter quoique ce soit.

 

 

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Béatrice Machet

Vit entre le sud de la France et les Etats Unis. Auteure de dix recueils de poésie en français et deux en Anglais, tra­duc­trice des auteurs Indi­ens d’Amérique du nord. Per­forme, donne des réc­i­tals poé­tiques en col­lab­o­ra­tion avec des danseurs, com­pos­i­teurs et musi­ciens. Pub­liée entre autres chez l’Amourier (Muer), VOIX (DER de DRE), pour les ouvrages bilingues ASM Press (For Uni­ty, 2015) Pour les tra­duc­tions : L’Attente(cartographie Chero­kee), ASM Press (Trick­ster Clan, antholo­gie, 24 poètes Indi­ens)… Elle est mem­bre du col­lec­tif de poètes sonores et per­for­mat­ifs Ecrits — Stu­dio. Par ailleurs elle réalise et ani­me chaque deux­ième mer­cre­di du mois à par­tir de 19h une émis­sion de 55 min­utes con­sacrée à la poésie con­tem­po­raine sur les ondes de radio Ago­ra à Grasse. En 2019, elle pub­lie Tirage(s) de Tête(s) aux édi­tions Les lieux dits, Plough­ing a Self of One’s Own, paru en 2021 aux édi­tions Danc­ing Girl Press, (Chica­go), et TOURNER, petit pré­cis de rota­tion paru chez Tar­mac en octo­bre 2022, RAFALES chez Lan­sk­ine en 2024.