Un regard sur la poésie Native American : The Fourth Wave, La quatrième vague

 

traduction de l’essai et des poèmes par Béatrice Machet. 

 

Les remerciements vont à l’auteur et à Erin Scalcup pour avoir autorisé la traduction de l’article publié dans le magazine Waxwing Literary Journal, que l’on peut consulter ici : http://waxwingmag.org/writing.php?item=344

     En 2003, était publié Shapeshift, recueil écrit par le poète Navajo (Diné) Sherwin Bitsui. Deux ans plus tard sortait Another Attempt at Rescue de la poète Sioux/Assiniboine M.L.  Smoker. Ces deux voix représentent le début de ce qu’on peut appeler la quatrième vague de la poésie contemporaine des Indiens d’Amérique du nord. Il s’agit d’un groupe constitué de voix parlant depuis des perspectives esthétiques, tribales et empiriques très variées. Après le livre  de Smoker, le mien intitulé Indian Trains, était publié, puis celui de la poète Cherokee Marianne Broyles intitulé  The Red Window , suivi par le livre du poète Cherokee Santee Frazier :  Dark Thirty, venait ensuite le Chromosomory de la poète  Lakota Layli Long Soldier, puis Velroy and the Madischie Mafia du poète Comanche/Arapaho du sud du nom de Sy, après quoi paraissait  Bone Light du poète Diné (Navajo) Orlando White, puis Leaving Tulsa de la poète Creek Jennifer Foerster. Nombreux autres livres semblent devoir suivre cette liste de publications —  et rapidement. 

     Je ne pense pas qu’on ait parlé de la littérature indienne en termes de vagues — le seul terme que je puisse trouver est celui de « renaissance Indienne » inventé par Kenneth Lincoln  et qui donne titre à son livre publié en 1983. Nous sommes maintenant nombreux, venus après ce premier mouvement. Au travers de mes recherches consacrées à la vague nouvelle, regardant le travail des écrivains Indiens et particulièrement les poètes publiés avant ma génération, je conclue que se sont imposées plusieurs vagues distinctes au sein de la poésie Indienne, et qui débute bien avant la « renaissance indienne ». Afin de contextualiser ce que je voyais dans la nouvelle vague, j’ai voulu aller en arrière et définir la première, la deuxième et la troisième vague. Ce que je découvris en me penchant sur les différentes vagues est qu’il y a quelque chose d’unique attachée à la quatrième. 

     La première vague est faite de tout ce qui pouvait être écrit par un ou une indienne après 1492 et avant la « renaissance Indienne ». En cherchant un auteur qui aurait écrit de la poésie à cette époque, nous trouvons principalement des auteurs émergeant qui s’adonnent à la prose comme Zitkala-Ša — dont l’ouvrage de fiction prestement déterré est maintenant enseigné par les universitaires dans les départements de littérature Indienne dans le pays. Les problèmes que les poètes et auteurs de la « renaissance Indienne » ont aussi traités sont les thèmes abordés par les auteurs de la première vague. Identité, nature opposée à modernité, authenticité, culture de la réserve opposée à celle en dehors de la réserve, souveraineté/questions de territoire, racisme/racisme internalisé, culturel/regain de la tradition, histoire, enfin les problèmes cruciaux de la langue. La différence se trouve dans l’audience. La majorité de la poésie — au contraire de la prose, au contraire de la majorité des textes de l’après première vague — étaient publiés presque exclusivement dans les journaux et magazines des écoles indiennes pour un public presque exclusivement indien. Publiée récemment , Changing Is Not Vanishing, éditée par Robert Dale Parker, est l’anthologie la plus exhaustive concernant la première vague de poésie Indienne, qui relève clairement trois problèmes essentiels. Le premier, comme déjà mentionné, est que l’audience des auteurs de la première vague est faite d’indiens. Au contraire de la première vague de proses, au contraire de n’importe quelle forme d’écrits de la seconde et troisième vague, les poètes de la première vague ne subissaient aucune pression d’écrire pour des non-Indiens. Le deuxième problème est que “les Indiens d’Amérique on écrit de la poésie en anglais ou en latin depuis presque aussi longtemps que les Euro-Américains » (Parker 4). La perception générale de l’écrit commis par un auteur Indien solo est somme toute plutôt récente. Le fait que la littérature vienne d’une longue tradition  américaine change significativement la relation de la littérature Indienne avec son homologue américaine. Le troisième problème est que lorsque la première poésie Indienne ne récoltait que très peu d’attention, beaucoup d’ouvrages écrits bien avant 1930 étaient publiés et considérés comme de la poésie Indienne, bien que — étrangement — ce ne soit pas de la poésie ou bien alors ces écrits n’étaient pas écrits par des Indiens. De nombreux fragments oraux des rituels Indiens ou les chants ont été transcrits et traduits (pas toujours bien) pour des raisons anthropologiques. Plus tard une bande de poètes blancs ont retraduit ces textes sans connaître les langues d’origine, les arrangeant de leur propre chef en vers et bien souvent en les récrivant longuement (Parker 8). Encore une fois, les poètes Indiens ont écrit depuis presque aussi longtemps que les auteurs non-Indiens et ce que la plupart des anthologies ont vu comme écrits Indiens ne le sont pas. De plus, les poètes de la première vague ont écrit « selon une grande variété de styles, de formes, d’idées, cultures et buts, en diverses régions », ce qui a fait d’eux les poètes les plus prolifiques jusqu’à l’arrivée de la quatrième vague (Parker 3). Il y a des poètes comme Lynn Riggs, née en 1899 en territoire Indien, qui pourrait rivaliser avec n’importe quel poète contemporain. Dans  “A Letter,” nous percevons l’usage fort du langage et le parfait contrôle, via l’enjambement, du vers ou sa fin en bout de ligne : 

In my neighbor’s garden chickens, like snow,

Guitars are strumming.

Guitars are saying the same things

They said last night — in a different key.

What they have said I know — so their strumming

Means nothing to me.

Nothing to me is the pale pride of Lucinda

Washing her hair — nothing to anyone:

Here in a black bowl are calendulas,

In my neighbor’s garden, sun. (qtd. in Parker 346)

Dans le jardin de mon voisin, comme neige,

Les guitares grattent.

Les guitares disent les mêmes choses

Déjà dites la nuit dernière — en changeant de clé.
Ce qu’elles ont dit je le sais — donc le grattement

Ne signifie rien pour moi.

Rien ne m’est la fierté pâle de Lucinda

Se lavant les cheveux — rien pour personne :

Dans un bol noir ici se trouvent des calendulas,

Dans le jardin de mon voisin, soleil. 

     La deuxième vague d’auteurs dont beaucoup sont représentés dans l’anthologie Harper (Anthology of 20th Century Native American Poetry) sont les auteurs que nous pouvons nommés « de la renaissance Indienne » : Simon Ortiz, Joy Harjo, Louise Erdrich (et bien d’autres voix émergeaient à cette époque),  plus l’apparition saluée du roman de N. Scott Momaday House Made of Dawn. (La maison de l’aube). C’est indéniablement la vague la plus importante, celle à laquelle appartiennent les auteurs les plus connus à ce jour. Les problèmes à résoudre étaient là encore multiples, mais principalement concernaient la questions soulevées d’être entendu le furent quand les problèmes Pan-Indiens listés au début de cet essai devinrent les problèmes principaux pour les auteurs Indiens et les critiques (et sont les problèmes pour lesquels la littérature Indienne est connue désormais). A regarder les œuvres de Ortiz, Harjo, et Erdrich, on voit que ces problèmes prédominent conceptuellement leur travail. 

     Dans le poème de Simon Ortiz “Spreading Wings on a Wind,”, des phrases et des mots comme “aigles”, « montagne”, « … et les gens peuplant la terre  — tout cela, /la plume dans une prière, » « est, ouest, nord et sud, » « cornfood », « avant qu’il n’y ait des billard ici, » prolifèrent, et le texte se termine par : « Bon sang que faites-vous à cette terre ? Mon grand-père chassait ici, priait … ». La tradition en relation avec la nature, en relation avec rétablissement opposé à modernité, est souvent évoquée. Le thème de l’histoire se propage tout au long du “I give you back,”(je te rends) de Joy Harjo, dans lequel la troisième strophe dit : « je te rends aux soldats blancs/qui ont brûlé ma maison, décapité mes enfants,/violé et sodomisé mes frères et sœurs. / Je te rends à ceux qui volaient/la nourriture dans nos assiettes quand nous mourions de faim ». Dans « réunion de famille », Erdrich écrit à propos « d’un mystérieux frère/qui restait sur le territoire quand Ray était parti pour la ville, » ceci lance une enquête sur l’identité de la réserve opposée à celle d’en dehors. Elle utilise aussi un mélange d’Anglais et d’ Anishinaabe — une tentative d’illustrer la récupération et l’usage des langues traditionnelles—avec le mot “Metagoshe”. Bien que tous ces poètes fassent partie de la deuxième vague et travaillent avec la tradition différemment, ils montrent qu’il y a un sens d’identité Indienne globale. L’identité qui ne se trouve pas, sauf difficilement, dans le 20ième siècle. Cela est fondamental parce que le concept d’indiens d’Amérique pour une culture majoritaire était, est toujours en bien des façons, formulé par des non Indiens d’une manière qui renie même l’existence des Indiens au 20ième siècle. Pour beaucoup, le terme d’Indien ou d’autochtone rassemble les images d’un passé pan-indien. Ce que les poètes de la deuxième vague ont réussi à prouver, c’est le sentiment d’être en vie, d’exister —  et d’exister artistiquement, comme tout poète le fait— au 20ième siècle. 

j’ai reçu une lettre écrite dans ma langue Indienne mais je ne la comprends pas, alors je passe toute la nuit pour trouver un traducteur jusqu’à ce que je tombe sur Big Mom dans le Bar. Elle connaît la langue, mais je dois danser pour elle, avec mon parka bleu et mes tennis … tous les autres peaux-rouges  … m’appelant d’un nom que je reconnais mais dont je ne suis pas certain qu’il soit le mien …)

     La quatrième vague  commence avec la sortie du livre de Sherwin Bitsui, Shapeshift. Cela marque le début d’un mouvement basé sur un très grand intérêt pour l’esthétique poétique contemporaine. Nombreux sont les auteurs de cette quatrième vague qui ont obtenu  leurs diplômes à l’institut des arts des Indiens d’Amérique, institut d’où sont issus de nombreux artistes Indiens (il est possible de ressentir également ce mouvement chez de plus jeunes artistes de cet institut, ceux qui n’ont pas encore produit de livres). 

     Quand j’étais écrivain invitée à l’institut des arts des Indiens d’Amérique  — d’où plusieurs des poètes mentionnés plus haut étaient sortis quelques années avant mon séjour de un an —  j’ai entendu encore et encore cette chose, qui était le désir brûlant d’être autorisé à écrire sans avoir à traîner le fardeau traditionnel des politiques littéraires Indiennes. Les jeunes auteurs là-bas se montraient fatigués des problèmes que la grande majorité des écrivains et des critiques avaient soulevés et traités, ils voulaient simplement faire ce que tout jeune écrivain veut faire : verser d’eux-mêmes sur la page.  Problèmes donc pour lesquels la première, deuxième et troisième vague étaient très investies,  mais qui n’ont récolté auprès de mes étudiants que des soupirs las. Quand j’insistais, une grande majorité de mes étudiants expliquaient que nos prédécesseurs avaient déjà parlé de ces choses, et que c’était leur privilège d’avoir hérité de l’absence de ce fardeau. Je compris alors que j’étais, et le suis encore, une plutôt  jeune auteure  moi-même, et j’avais traversé quelques années à chercher exactement où me tenir. J’avais lu des poèmes de T.S. Eliot en passant par Sherman Alexie et finalement j’avais conclu que leur travail était le même : rendre poétiquement ce qu’ils connaissaient. Après avoir lu “The Negro and the Racial Mountain,” de Langston Hughes, publié une première fois en 1926, je savais que j’avais trouvé ce que j’essayais de dire depuis des années : « nous jeunes artistes noirs qui créons essayons maintenant d’exprimer nos êtres sombres de peau sans crainte et sans honte. Si les blancs sont contents nous nous en réjouissons. S’ils ne le sont pas, cela n’a pas d’importance. Nous savons que nous sommes magnifiques. Et laids aussi. Le tam-tam pleure et le tam-tam rit. Si les gens de couleur sont contents, nous aussi. S’ils ne le sont pas, leur déplaisir n’as pas non plus d’importance. Nous construisons nos temples pour demain, forts comme nous le savons maintenant, et nous nous tenons au sommet de la montagne, libres au dedans de nous ». 

     Pour traduire ceci en termes d’expérience d’écriture Indienne, le sentiment était que si l’art était produit par un Indien, c’était par défaut de l’art Indien, et le souci conceptuel autour des problèmes d’identité ou de politique nous distrayait de devenir de meilleurs artistes. A l’institut des arts des indiens d’Amérique, j’ai beaucoup cité l’essai de Hughes. Et j’ai souvent parlé de forme poétique. Métaphore, son, image. Ces trois mots je les employais encore et encore pour que les étudiants aient les outils pour choisir tout ce qu’ils voulaient exprimer, leurs vies, leurs pensées, leurs paroles. Pendant des années Arthur Sze, un poète de l’image en profondeur, et son collègue Jon Davis, ont enseigné à cet institut et ont permis aux étudiants de simplement tomber amoureux de la parole. J’ai aussi présenté des poètes comme M.L. Smoker, qui comme moi écrivait des poèmes lyriques et en prose. Nous parlions de poètes comme Sherwin Bitsui, plus expérimental — un poète épique, un poète de l’image en profondeur, et j’affirmais que son travail était Diné (Navajo) dans la forme, pas seulement son contenu /concept. 

le soleil se lève et je pense à ton larynx meurtri), Bitsui écrit : 

I think of your cupped hands tucked into the petals of a mud-caked sun.

The raven browned by winter moon’s breath

releases its wings,

          stretches its neck,

resembles for a second

the silhouette of a horse’s head

carved from the nugget of coal

found in your grandmother’s clenched fist. (26-27)

 

(Je pense à tes mains en coupe nichées dans les pétales d’un soleil d’argile cuite.

Le corbeau bruni par l’haleine de la lune d’hiver

libère ses ailes,

                étend son cou, 

une seconde ressemble 

à la silhouette d’une tête de cheval

gravé par une pépite de charbon 

)

dresseur de chevaux Mohawk), à propos d’un homme à la fin de sa vie en train de mourir à l’hôpital : 

Then his eyes darken over —

stars covered by a bank of storm clouds —

as Philip leaves the moment

and returns where he lies now. He releases a sigh,

the same kind of sigh

exhausted Pintos must have

let go under his craggy weight.

Now, I smile at his leather boots,

sticking out of crumpled hospital bedding,

indicative of his unbroken will.

I sure do love them horses, he declares,

and closes his eyes so he can

rejoin the world he knew before. (9)

Puis ses yeux s’assombrissent—

des étoiles couvertes par une bande de nuages orageux—

alors que Philippe quitte ce temps-là

et s’en revient où il est allongé maintenant. Il laisse échapper un soupir,

le même soupir épuisé

que les Pintos devaient pousser

sous son poids osseux.
A présent je souris devant ses bottes en peau de lézard

qui dépassent en dessous du lit d’hôpital,

indiquant, bien qu’handicapé, sa volonté indomptée.

Sûr que je les aime, les chevaux, déclare-t-il,

et il ferme les yeux afin de rejoindre

le monde qu’il connaissait avant. 

Dans ce poème, Broyles avance dans le temps en racontant une histoire — ce qui est la définition de narratif. Cependant il y a des images, des sons, une absence de fétichisation autobiographique du narrateur, ou bien comme Levin le dirait : 

la décadence du confessionnalisme, qui a irrigué la poésie contemporaine des cinquante dernières années [juste avant l’arrivée des poètes dont Levin parlait plus haut] … la décision révolutionnaire de Lowell de « dire ce qui se passait » a éclaté en de petits campements de dissémination. Ce que les poèmes de ces camps poèmes de politique liée à l’identité, politiques familiales des violations et abus … avaient en commun une approche stylistique autobiographique où l’exposition du problème prenait le pas sur le façonnage inventif de la langue et de la forme.)

 

     Les poètes de la Renaissance Indienne entrent dans le cadre de la définition du confessionnalisme.  Il y a malgré tout de nombreux auteurs Indiens et des universitaires pour avancer l’argument que si le contenu des œuvres est orienté vers l’Indien, il est d’origine Indienne, mais sous de nombreux aspects il est anglo-américain, et cela dépend de l’utilisation des formes poétiques. Par exemple prenons “Mama’s Work,” de Frazier dans  Dark Thirty:

Mama tucked the coffee can between her wrist and hip

and walked down Dry Creek Road. Her eyes lined-up,

blush and lipstick, her Levi’s shorts cut above the thigh.

And what it was to see those farmers cutting down wheat,

side-glancing mama, barefoot and brown. Sometimes it’s flour,

sometimes money when she empties the can. Her work

in the quiet corners of barns on the hay, on hot days

when locusts launch themselves out of thickets.

I stare down Dry Creek Road looking for her wrist and hip,

her splayed hair and small toes walking out of a pone-colored dust. (7)

 

Mama colla le pot de café entre poignet et hanche

et descendit la rue Dry Creek Road. Ses yeux maquillés,

blush et rouge à lèvres, ses levi’s coupés court au-dessus des cuisses.

C’était vraiment quelque chose de voir les fermiers couper le blé,

qui lorgnaient Mama de biais, pieds nus et brune. Parfois c’était de la farine,

parfois de l’argent quand elle vidait le pot. Son travail

dans les coins calmes des granges sur la paille, les jours de chaleur

quand les sauterelles se lancent d’elles-mêmes hors des fourrés.

Je regarde fixement Dry Creek Road cherchant son poignet et sa hanche,

Comme c’est le cas avec Broyles, ce poème ne fétichise pas l’autobiographie du narrateur, n’ignore pas non plus la beauté potentielle de la forme poétique, spécifiquement  la forme narrative. Dans les deux poèmes nous suivons une progression des événements orchestrée avec brio, réunis par le langage poétique qui comprend des images uniques et intensément belles. Les poèmes culminent avec des fins puissantes qui terminent les tendres portraits de vies. Je ne peux pas les imaginer écrits sous une autre forme. Ils sont frais, merveilleux, inattendus.   

     Etant poète universitaire, j’ai beaucoup réfléchi à pourquoi la forme narrative a récolté moins de respect que les autres formes ces dernières années. Une grande majorité de jeunes écrivains  Indiens et latinos se sont investis dans la poésie expérimentale, bien qu’ils détestent mettre un label sur leur travail. Pendant que j’étais à l’institut des arts des Indiens d’Amérique, j’ai assisté à des discussions mettant en question l’influence de Sze. Il semblait y avoir un consensus émotionnel qui posait la poésie expérimentale comme permission d’échapper à toutes les politiques du passé.  S’il n’y avait qu’un investissement exclusif dans le langage, les poètes pouvaient partir du travail dogmatique éculé : contenu-au-dessus- de la forme, ce qu’ils trouvent eux-mêmes tellement fatiguant. La forme poétique narrative était devenue synonyme de confession poétique fétichiste, dans lequel l’auteur n’exprimait pas poétiquement une série d’événements culminants à un moment du poème avec le portrait d’une personne, comme dans le cas de Broyles et Frazier, au lieu de cela l’auteur poursuivait un concept dogmatique ou personnel, premièrement pour  — bien que faisant semblant de s’y opposer  — un public de blancs. C’est ce qui retenait mon attention quand j’étais étudiante : l’idée que les auteurs Indiens du passé avaient été chargés du fardeau d’expliquer à tous les blancs ce qu’étaient tous les Indiens, ce qui a donné pour résultat le sentiment schizophrénique de ne jamais autoriser le soi poétique de se tourner vers l’intérieur, l’intime, ou d’imaginer ce que leur propre famille, ou communauté, penseraient de leurs œuvres. 

regarde les sur le lit de la page, comment ils trait-d’unionnent, comment ils créeront langage ensemble). C’est sexy, et finalement drôle. Cela revient à dire ce que Carlos Williams disait de la poésie, qu’il devait y avoir du plaisir dedans. 

Tout ce que j’écris exige ceci : un alphabet. … J’ai toujours appelé mon beau-père David. … Il a essayé de m’enseigner l’orthographe… Il criait : « épèle-les petit con ! Je vais te frapper si tu ne le fais pas » … Quand David me frappa à la tête, je vis les étoiles en forme d’alphabet. Des années plus tard, ma fascination pour les lettres aboutit en des poèmes.) Donc les problèmes, restent toujours les mêmes problèmes. 

     Je comprends alors pourquoi les esthétiques expérimentales  — ou dans un monde de fiction, postmodernes, sont devenues si attractives pour les jeunes artistes Indiens. Bien que cela soit une forme issue des universités blanches (et qu’on aille sur le site de la Poetry Foundation pour voir que la discussion déborde sur le monde artistique dans sa plus large compréhension), c’est une esthétique qui enterre les faiseurs d’identité aussi profond qu’elle le peut,  de telle sorte que ceux qui voudraient mettre à part notre travail pour mettre en valeur des arguments cohésifs, solipsistes , universitaires, réducteurs,  orientés sur le contenu, se trouveront eux-mêmes abandonnés des faiseurs traditionnels avec qui l’université se sentait à l’aise quand il s’agissait des écrits des Indiens. Malgré cela, comme nous pouvons le voir dans le récit de White au début de son recueil, même quand nous effectuons un changement esthétique, en terme de forme, si la réalité de nos vies ne change pas, elle se glissera dans une brèche de notre subconscient — que ce soit la forme narrative, lyrique, expérimentale, prose, ou quelconque autre orme stylistique que nous choisissons. 

     Alors comment comprendre cela ? Vivons nous, en un sens, sous contrôle radar, avec poésie narrative/expérimentale, ou bien affirmons-nous fièrement avec  la poésie orientée vers un contenu de confession ? On pourrait dire que toutes ces formes ne viennent pas de nous. Pourtant … quand vous regardez les poètes de cette nouvelle vague, vous verrez qu’ils utilisent la forme poétique à bon escient, pas comme une béquille : les poèmes narratifs ne sont pas seulement des confessions bavardes — elles contiennent des images. Les poèmes explorant le langage ne sont pas seulement des moyens intelligents de jouer avec les mots sur la page —  ils sont des phrases forgées avec soin, et cela ajoute à l’expérience sensorielle. Hogans, sweetgrass, bagnoles des réserves apparaissent encore —  mais ce ne sont pas seulement des prétextes à faire la preuve de l’identité du poète, ils ajoutent à la beauté du poème. Prenons l’exemple de “From a Tin Box” de M.L. Smoker : 

dans le vieux coffre de l’armée de mon oncle les dents d’un élan vibrent  — un élan pleinement adulte qui avait donné sa vie un mois de novembre. Le coffre est un exemplaire standard, sûr, à côté du lit de mon oncle. Chaque matin ses orteils se posent, à quatre pouces du métal et des dents solides couleur ivoire qui attendent ce réveil. Il sourit. Il appelle les dents un abri, une basse crête faisant germer de nouvelles herbes. Mon oncle ouvre le coffre et les rassemble dans l’ombre de ses paumes épaisses jointes en coupe. Il leur confie un rêve de la nuit d’avant, toujours concentré sur sa signification pendant que les dents cliquètent doucement et chantent.)

Dee est Cheyenne / Arapaho, Comanche, Kiowa et Apache Fort Sill /Il ne pouvait appartenir à aucune des tribus/ mais pouvait exécuter la danse de l’herbe et la bump et la grind … Stoney avait quatre épouses, à l’indienne./ il détient la médecine fantôme .. il vend du peyotl et de la coke à des garçons blancs) Les enjambements et les fins de vers semblent soumis au constat politique global. Il n’y a rien en termes de forme qui semble dominer dans le poème ou dans le recueil. Pourtant il y a une sorte de conscience postmoderne propre à la troisième vague tout en gardant l’engagement historique, langagier et identitaire propre à la deuxième vague. 

     Contrastant fortement avec le travail de Hoahwah, celui de Foerster, bien que ne correspondant pas exactement aux différentes formes poétiques, appartient à la quatrième vague sans conteste, avec un penchant pour les images. Ses poèmes sont croustillants et merveilleusement pleins du paysage d’Oklahoma et du désert du sud-ouest américain. Ce sont des vers libres qui chantent avec la tension dramatique des images prises dans des strophes directes et acerbes, Il y a une structure distincte, une attention aux sons à travers les schémas de rimes internes. Bien qu’il y ait un certain nombre de mots que le public peut reconnaître comme Indiens, une légère résistance dans le poème est sensible à ce que le dit public pourrait reconnaître comme Indien. Prenons par exemple “Pottery Lessons I.”:

Hokte     hokte hmvnwv*

Begin here

with the clay she says

under her breath     a handful of earth

from silt-bottomed streams

loosens between fingers     water

echoes in an empty bowl     hokte

          hoktet hecet os*

I was birthed of mud   blood

And bone     hokte

                Hoktet hecet os. (13)

 

Hokte     hokte hmvnwv*

Commence ici

avec l’argile dit-elle 

à voix basse      une poignée de terre 

du fond vaseux des courants      

lâche entre les doigt          l’eau    

résonne dans un bol vide     hokte

          hoktet hecet os*

je suis née d’argile     de sang   

et d’os        hokte

                Hoktet hecet os.

Cela commence en Creek / Muskogee, s’aliénant potentiellement une audience qui cherche une connexion simple avec quelque chose d’Indien. Des mots comme “powwow” or “maïs” résument assez bien ce que les gens pensent aux USA de ce qui est Indien. Mais si l’on commence avec une langue qui n’est pas l’anglais, alors le poème vous dit que son public idéal est Muskogee. Puis il y a les sauts de ligne merveilleux qui rendent chaque vers et chaque strophe dense et coute. De plus, les images sont rares mais riches, et tout le morceau se rassemble comme dans un collage, ce qui donne un sentiment impressionniste que ce qui est dit dans le poème est un souvenir, ce qui ne peut s’exprimer que par flashs d’images. De cette façon le contenu est soumis au sentiment global du poème et les images sont ce que nous retenons plutôt qu’une affirmation sur les Indiens en général.

Devrais-je me glisser sous les draps tranquillement, approcher mon corps, dire, es-tu éveillé? Il y a un petit fil de fer entre nous, à marée basse, ma mère dans la pièce à côté , bébé sur le qui vive prête à frapper donner des coups de pieds.) 

 

il y a simplement  quelque chose à propos de la rémissible vague d’un générique qui est ressenti comme le plus grand engagement de tous) 

Ouvrages cités

Alexie, Sherman. The Business of Fancydancing. Brooklyn: Hanging Loose Press, 1992. 

Bitsui, Sherwin. Shapeshift. Tucson: U of Arizona P, 2003. 

Broyles, Marianne Aweagon. The Red Window. Albuquerque: West End Press, 2008. 

Foerster, Jennifer Elise. Leaving Tulsa. Tucson: U of Arizona P, 2013. 

Frazier, Santee. Dark Thirty. Tucson: U of Arizona P, 2009. 

Gansworth, Eric. Nickel Eclipse/Iroquois Moon. East Lansing: Michigan State UP, 2000. 

Hoahwah, Sy. Velroy and the Madischie Mafia. Albuquerque: West End Press, 2009. 

Hughes, Langston. “The Negro Artist and the Racial Mountain.” The Nation 122 (1926): 692-694. Rpt. in Modern American Poetry. University of Illinois at Urbana-Champaign, n.d. Web. 6 Mar. 2015.

Levin, Dana. “The Heroics of Style: A Study in Three Parts.” The American Poetry Review 35:2 (2006). Web. 6 Mar. 2015.

Lincoln, Kenneth. Native American Renaissance. Berkeley and Los Angeles: U of California P, 1983. 

Long Soldier, Layli. Chromosomory. Lubbock, TX: Q Avenue Press, 2010. 

Midge, Tiffany. Outlaws, Renegades and Saints: Diary Of A Mixed-Up Halfbreed. New York: Greenfield Review Press, 1996. 

Niatum, Duane, ed. Harper’s Anthology of 20th Century Native American Poetry. San Francisco: HarperSanFrancisco, 1988. 

Smoker, M.L. Another Attempt At Rescue. Brooklyn: Hanging Loose Press, 2005. 

White, Orlando. Bone Light. Los Angeles: Red Hen Press, 2009.