Rencontre avec Fawzia Zouari : Écrire par dessus les frontières

Par |2023-09-16T10:04:01+02:00 5 septembre 2023|Catégories : Fawzia Zouari, Rencontres|

Ecrivains et jour­nal­iste Fran­co-tunisi­enne, Fawzia Zouari est l’au­teure de nom­breux romans et réc­its dont Le Corps de ma mère (Joëlle Los­feld, 2016), Gal­li­mard, Folio, 2018, qui a obtenu le prix de la Fran­coph­o­nie. Elle a obtenu égale­ment le grand prix tunisien de la lit­téra­ture, le Comar d’or pour son roman La Deux­ième épouse en 2007. Elle inter­roge le rap­port à la tra­di­tion et le statut des femmes dans les pays du Maghreb, con­di­tion fémi­nine qu’elle sou­tient et promeut en fon­dant le Par­lement des écrivaines fran­coph­o­nes, dont le pre­mière réu­nion s’est déroulée à Orléans, les 26, 27 et 28 sep­tem­bre 2018, en présence de plus de 70 écrivaines venues des cinq con­ti­nents venues pour débat­tre sur la con­di­tion des femmes dans le monde, et leur place sur la scène publique, politique. 

Faouzia Zouari, vous êtes roman­cière et jour­nal­iste. Vous avez pub­lié de nom­breux romans, cer­tains dis­tin­gués par la cri­tique et des prix pres­tigieux. Tous ont pour socle la con­di­tion des femmes dans le monde musul­man. En quoi et com­ment la lit­téra­ture vous a‑t-elle per­mis de dénon­cer leur place dans une société patriarcale ?
Je ne me sou­viens pas, ni ne crois avoir demandé expressé­ment à la lit­téra­ture de « dénon­cer » ou de revendi­quer. Cela s’est passé tout seul. De part mes orig­ines, mon itinéraire, ma con­di­tion de femme du Sud, les mots dis­aient spon­tané­ment mon être au monde, mes peurs ances­trales, mes craintes et mes espoirs. La fic­tion se fai­sait d’office l’écho de la réal­ité. En cela, elle dénonce toute seule, entre les lignes, en dehors de tout engage­ment conscient. 
C’est cela-même sa magie. Et c’est de la sorte que le roman des femmes insère automa­tique­ment et naturelle­ment le com­bat des femmes.
Pour le reste, et alors que je n’osais même pas me dire « fémin­iste » au siè­cle dernier, l’actualité, le retour du bâton, l’islamisme et, plus par­ti­c­ulière­ment, le recul des droits des femmes dans beau­coup de pays m’ont poussée sur le « ring » si je puis dire.  Via le jour­nal­isme et les essais, cette fois. J’y ai pris part aux débats, aux man­i­fes­ta­tions, au mil­i­tan­tisme act­if. Roman­cière et essay­iste, ce sont là deux cas­quettes pour une même tête.
Écrire est-ce résis­ter ? Est-ce ten­ter de chang­er le monde ? 

Ren­con­tre avec Fawzia Zouari au Par­lement des écrivaines fran­coph­o­nes.https://www.parlement-ecrivaines-francophones.org/

L’été dernier, je mar­chais tous les jours avec un ami le long de la plage en bavar­dant. On a appelé ça « Les entre­tiens de la mer ». Et l’ami en ques­tion me dis­ait, chaque fois que je dévelop­pais une théorie ou avançais une réponse aux prob­lé­ma­tiques et aux crises actuelles : « Tu es sur les chemins de l’impossible ». Et l’impossible pour lui, c’est affirmer qu’on peut résis­ter à la défer­lante du religieux, c’est croire que la paix s’imposera, c’est avoir foi en l’universalisme, en l’altérité, en une révo­lu­tion laïque dans le monde musul­man.  Ecrire c’est prob­a­ble­ment men­er cette bataille de l’impossible et cette utopie de chang­er les choses un jour…
Est-ce que l’écriture romanesque dif­fère de l’écriture poétique ?
J’ai tou­jours aimé la poésie que je trou­ve supérieure à la fic­tion. Voilà un genre qui dit tant en si peu de mots, qui résume l’essentiel en une stro­phe, qui pêche le sens en un seul bond dans les pro­fondeurs. C’est la musique de fond du monde sans laque­lle nous mour­rons de désharmonie.

Fawzia Zouari, Ren­con­tre lors du fes­ti­val Lit­téra­tures Itinérantes au Maroc, à Fès. en octo­bre 2022.

En 2018 vous créez le Par­lement des Écrivaines Fran­coph­o­nes à Orléans, une plate­forme qui a pour objec­tif de « faire grandir et de pro­mou­voir la cause et la voix des femmes ». Pourquoi cette initiative ?
Il s’agit avant tout d’une aven­ture intel­lectuelle regroupant des auteures qui ont en com­mun le fait d’être femmes et d’écrire française. Son but est de met­tre en exer­gue la lit­téra­ture fémi­nine, créer une sol­i­dar­ité entre les auteures, affirmer qu’il existe un écrire- ensem­ble au féminin et une voix com­mune habil­itée à défendre la cause des femmes mais aus­si à s’exprimer sur les affaires du monde. C’est en cela que nous pub­lions régulière­ment dans la presse des tri­bunes pour soutenir des écrivaines ou des jour­nal­istes empris­on­nées ou en dan­ger, ou pour dénon­cer le sort fait aux femmes dans des pays comme l’Iran ou l’Afghanistan. Mais nos com­bats se situent aus­si sur d’autres ter­rains : nous dénonçons les guer­res, les inté­grismes, le racisme, les saccages de la nature, par exem­ple. Nous avons égale­ment à notre act­if plusieurs pub­li­ca­tions dont trois vol­umes d’anthologies lis­tant les écrivaines et un ouvrage col­lec­tif, Corps de filles, corps de femmes, pub­lié aux édi­tions des Femmes. Sans compter cer­taines « presta­tions » comme le « cabaret des écrivaines » ou le « Procès » qui met en scène une quin­zaine de par­lemen­taires autour du thème : « Les écrivaines sont-elles des femmes dan­gereuses ». 

Clô­ture des Voix d’Or­léans, le 11 octo­bre 2021. 

Et demain, quels sont vos pro­jets, per­son­nels, mais aus­si ceux du PEF ?
Pour le moment, nous sommes sur deux grands pro­jets : le pre­mier est un ouvrage sur l’histoire fémi­nine des migra­tions, l’autre une ren­con­tre en Mar­tinique autour de l’œuvre d’Aimé Césaire. L’un et l’autre pro­jet s’inscrivent dans la volon­té du PEF de par­er à l’inégalité mémorielle qui a fait en sorte que l’Histoire (y com­pris celles des migra­tions) a été jusque-là écrite et racon­tée par les hommes, et de revis­iter la pen­sée de cer­tains grands intel­lectuels d’un point de vue féminin.
Quant à mes pro­jets per­son­nels, je ter­mine un livre qui s’intitule Rebelles d’Islam et com­mence un Dic­tio­n­naire amoureux de la Tunisie.  En atten­dant le retour au roman, ce ter­ri­toire de lib­erté et de rêve total por­tant en lui ce beau para­doxe : il repose de tout, et engage à tout, laisse les mots penser à la place des idées (sic).

Présentation de l’auteur

Fawzia Zouari

Fawsia Zouari naît à Dah­mani, à une trentaine de kilo­mètres au sud-est du Kef, au sud-ouest de Tunis, au sein d’une fratrie de six sœurs et qua­tre frères. Son père est un cheikh, pro­prié­taire ter­rien et juge de paix. Elle est la pre­mière des filles à ne pas être mar­iée ado­les­cente et à pou­voir men­er des études. En 1974, elle obtient son bac­calau­réat, puis pour­suit ses études à la fac­ulté de Tunis.

En sep­tem­bre 1979, elle s’in­stalle à Paris pour son doc­tor­at en lit­téra­ture française et com­parée de l’u­ni­ver­sité Sorbonne-Nouvelle.

Elle tra­vaille durant dix ans à l’In­sti­tut du monde arabe — à dif­férents postes dont celui de rédac­trice du mag­a­zine Qan­tara — avant de devenir jour­nal­iste à l’heb­do­madaire Jeune Afrique en 1996.

La Car­a­vane des chimères, pub­lié en 1989 et qui reprend le sujet de sa thèse, est con­sacré au par­cours de Valen­tine de Saint-Point, petite-nièce d’Alphonse de Lamar­tine, égérie du futur­isme, qui a voulu réc­on­cili­er l’Ori­ent et l’Oc­ci­dent, et s’est instal­lée au Caire après s’être con­ver­tie à l’is­lam. Ses ouvrages suiv­ants évo­quent, pour la plu­part, la femme maghrébine instal­lée en Europe occi­den­tale. Ce pays dont je meurs, pub­lié en 1999 et inspiré d’un fait divers, racon­te de façon romancée la vie de deux filles d’ou­vri­er algérien, dérac­inées aus­si mal à l’aise dans leur société d’o­rig­ine que dans leur pays d’ac­cueil. La Retournée, roman pub­lié en 2002, narre sur un ton ironique la vie d’une intel­lectuelle tunisi­enne vivant en France et qui ne pour­rait plus retourn­er dans son vil­lage natal. Elle imbrique dans ce réc­it des ter­mes arabo-berbères, sans équiv­a­lent séman­tique exact en français ; cet ouvrage est réédité en ver­sion de poche en 2006. La même année paraît La Deux­ième épouse, met­tant en scène trois femmes maghrébines fréquen­tées simul­tané­ment par le même homme, et inspiré là encore d’un fait divers.

Le , elle reçoit le prix des cinq con­ti­nents de la fran­coph­o­nie, pour son livre Le Corps de ma mère. Elle avait déjà reçu une men­tion spé­ciale dans le cadre de ce prix en 2003, pour le roman La Retournée. La Deux­ième Épouse se voit décern­er en 2007 le Comar d’or, prin­ci­pale dis­tinc­tion lit­téraire en Tunisie.

© Crédits pho­tos Bruno Klein.

Bib­li­ogra­phie 

En allemand

  • Das Land, in dem ich sterbe : die wahre Geschichte mein­er Schwest­er, Berlin, Ull­stein Taschen­buchvlg, , 169 p.

En français

  • La Car­a­vane des chimères, Paris, Édi­tions de l’O­livi­er Orban, , 345 p.
  • Ce pays dont je meurs, Paris, Ram­say, , 189 p. 
  • La Retournée, Paris, Ram­say, , 320 p. 
  • Le Voile islamique : his­toire et actu­al­ité, du Coran à l’af­faire du foulard, Lau­sanne, Édi­tions Favre, , 196 p. 
  • Pour en finir avec Shahrazad, Tunis, Cérès, , 137 p. 
  • Ce voile qui déchire la France, Paris, Ram­say, , 268 p. 
  • La Deux­ième épouse, Paris, Ram­say, , 321 p. 
  • Pour un fémin­isme méditer­ranéen, Paris, L’Har­mat­tan, , 102 p. 
  • Je ne suis pas Diam’s, Paris, Édi­tions Stock, , 158 p. 
  • J’ai épousé un Français, Paris, Édi­tions du Rocher,
  • Le Corps de ma mère : réc­it, Paris, Édi­tions Joëlle Los­feld, , 231 p. 
  • Douze musul­mans par­lent de Jésus, Paris, Desclée de Brouw­er, , 161 p. 
  • J’avais tant de choses à dire encore : entre­tiens avec Fawzia Zouari, Paris, Desclée de Brouw­er, , 124 p.
    Entre­tiens avec Malek Chebel

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.

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