Rencontre avec Fawzia Zouari : Écrire par dessus les frontières

Ecrivains et journaliste Franco-tunisienne, Fawzia Zouari est l'auteure de nombreux romans et récits dont Le Corps de ma mère (Joëlle Losfeld, 2016), Gallimard, Folio, 2018, qui a obtenu le prix de la Francophonie. Elle a obtenu également le grand prix tunisien de la littérature, le Comar d'or pour son roman La Deuxième épouse en 2007. Elle interroge le rapport à la tradition et le statut des femmes dans les pays du Maghreb, condition féminine qu'elle soutient et promeut en fondant le Parlement des écrivaines francophones, dont le première réunion s'est déroulée à Orléans, les 26, 27 et 28 septembre 2018, en présence de plus de 70 écrivaines venues des cinq continents venues pour débattre sur la condition des femmes dans le monde, et leur place sur la scène publique, politique. 

Faouzia Zouari, vous êtes romancière et journaliste. Vous avez publié de nombreux romans, certains distingués par la critique et des prix prestigieux. Tous ont pour socle la condition des femmes dans le monde musulman. En quoi et comment la littérature vous a-t-elle permis de dénoncer leur place dans une société patriarcale ?
Je ne me souviens pas, ni ne crois avoir demandé expressément à la littérature de « dénoncer » ou de revendiquer. Cela s’est passé tout seul. De part mes origines, mon itinéraire, ma condition de femme du Sud, les mots disaient spontanément mon être au monde, mes peurs ancestrales, mes craintes et mes espoirs. La fiction se faisait d’office l’écho de la réalité. En cela, elle dénonce toute seule, entre les lignes, en dehors de tout engagement conscient.
C’est cela-même sa magie. Et c’est de la sorte que le roman des femmes insère automatiquement et naturellement le combat des femmes.
Pour le reste, et alors que je n’osais même pas me dire « féministe » au siècle dernier, l’actualité, le retour du bâton, l’islamisme et, plus particulièrement, le recul des droits des femmes dans beaucoup de pays m’ont poussée sur le « ring » si je puis dire.  Via le journalisme et les essais, cette fois. J’y ai pris part aux débats, aux manifestations, au militantisme actif. Romancière et essayiste, ce sont là deux casquettes pour une même tête.
Écrire est-ce résister ? Est-ce tenter de changer le monde ?

Rencontre avec Fawzia Zouari au Parlement des écrivaines francophones.https://www.parlement-ecrivaines-francophones.org/

L’été dernier, je marchais tous les jours avec un ami le long de la plage en bavardant. On a appelé ça « Les entretiens de la mer ». Et l’ami en question me disait, chaque fois que je développais une théorie ou avançais une réponse aux problématiques et aux crises actuelles : « Tu es sur les chemins de l’impossible ». Et l’impossible pour lui, c’est affirmer qu’on peut résister à la déferlante du religieux, c’est croire que la paix s’imposera, c’est avoir foi en l’universalisme, en l’altérité, en une révolution laïque dans le monde musulman.  Ecrire c’est probablement mener cette bataille de l’impossible et cette utopie de changer les choses un jour...
Est-ce que l’écriture romanesque diffère de l’écriture poétique ?
J’ai toujours aimé la poésie que je trouve supérieure à la fiction. Voilà un genre qui dit tant en si peu de mots, qui résume l’essentiel en une strophe, qui pêche le sens en un seul bond dans les profondeurs. C’est la musique de fond du monde sans laquelle nous mourrons de désharmonie.

Fawzia Zouari, Rencontre lors du festival Littératures Itinérantes au Maroc, à Fès. en octobre 2022.

En 2018 vous créez le Parlement des Écrivaines Francophones à Orléans, une plateforme qui a pour objectif de « faire grandir et de promouvoir la cause et la voix des femmes ». Pourquoi cette initiative ?
Il s’agit avant tout d’une aventure intellectuelle regroupant des auteures qui ont en commun le fait d’être femmes et d’écrire française. Son but est de mettre en exergue la littérature féminine, créer une solidarité entre les auteures, affirmer qu’il existe un écrire- ensemble au féminin et une voix commune habilitée à défendre la cause des femmes mais aussi à s’exprimer sur les affaires du monde. C’est en cela que nous publions régulièrement dans la presse des tribunes pour soutenir des écrivaines ou des journalistes emprisonnées ou en danger, ou pour dénoncer le sort fait aux femmes dans des pays comme l’Iran ou l’Afghanistan. Mais nos combats se situent aussi sur d’autres terrains : nous dénonçons les guerres, les intégrismes, le racisme, les saccages de la nature, par exemple. Nous avons également à notre actif plusieurs publications dont trois volumes d’anthologies listant les écrivaines et un ouvrage collectif, Corps de filles, corps de femmes, publié aux éditions des Femmes. Sans compter certaines « prestations » comme le « cabaret des écrivaines » ou le « Procès » qui met en scène une quinzaine de parlementaires autour du thème : « Les écrivaines sont-elles des femmes dangereuses ». 

Clôture des Voix d'Orléans, le 11 octobre 2021. 

Et demain, quels sont vos projets, personnels, mais aussi ceux du PEF ?
Pour le moment, nous sommes sur deux grands projets : le premier est un ouvrage sur l’histoire féminine des migrations, l’autre une rencontre en Martinique autour de l’œuvre d’Aimé Césaire. L’un et l’autre projet s’inscrivent dans la volonté du PEF de parer à l’inégalité mémorielle qui a fait en sorte que l’Histoire (y compris celles des migrations) a été jusque-là écrite et racontée par les hommes, et de revisiter la pensée de certains grands intellectuels d’un point de vue féminin.
Quant à mes projets personnels, je termine un livre qui s’intitule Rebelles d’Islam et commence un Dictionnaire amoureux de la Tunisie.  En attendant le retour au roman, ce territoire de liberté et de rêve total portant en lui ce beau paradoxe : il repose de tout, et engage à tout, laisse les mots penser à la place des idées (sic).

Présentation de l’auteur

Fawzia Zouari

Fawsia Zouari naît à Dahmani, à une trentaine de kilomètres au sud-est du Kef, au sud-ouest de Tunis, au sein d'une fratrie de six sœurs et quatre frères. Son père est un cheikh, propriétaire terrien et juge de paix. Elle est la première des filles à ne pas être mariée adolescente et à pouvoir mener des études. En 1974, elle obtient son baccalauréat, puis poursuit ses études à la faculté de Tunis.

En septembre 1979, elle s'installe à Paris pour son doctorat en littérature française et comparée de l'université Sorbonne-Nouvelle.

Elle travaille durant dix ans à l'Institut du monde arabe — à différents postes dont celui de rédactrice du magazine Qantara — avant de devenir journaliste à l'hebdomadaire Jeune Afrique en 1996.

La Caravane des chimères, publié en 1989 et qui reprend le sujet de sa thèse, est consacré au parcours de Valentine de Saint-Point, petite-nièce d'Alphonse de Lamartine, égérie du futurisme, qui a voulu réconcilier l'Orient et l'Occident, et s'est installée au Caire après s'être convertie à l'islam. Ses ouvrages suivants évoquent, pour la plupart, la femme maghrébine installée en Europe occidentale. Ce pays dont je meurs, publié en 1999 et inspiré d'un fait divers, raconte de façon romancée la vie de deux filles d'ouvrier algérien, déracinées aussi mal à l'aise dans leur société d'origine que dans leur pays d'accueil. La Retournée, roman publié en 2002, narre sur un ton ironique la vie d'une intellectuelle tunisienne vivant en France et qui ne pourrait plus retourner dans son village natal. Elle imbrique dans ce récit des termes arabo-berbères, sans équivalent sémantique exact en français ; cet ouvrage est réédité en version de poche en 2006. La même année paraît La Deuxième épouse, mettant en scène trois femmes maghrébines fréquentées simultanément par le même homme, et inspiré là encore d'un fait divers.

Le 6 décembre 2016, elle reçoit le prix des cinq continents de la francophonie, pour son livre Le Corps de ma mère. Elle avait déjà reçu une mention spéciale dans le cadre de ce prix en 2003, pour le roman La Retournée. La Deuxième Épouse se voit décerner en 2007 le Comar d'or, principale distinction littéraire en Tunisie.

© Crédits photos Bruno Klein.

Bibliographie 

En allemand

  • Das Land, in dem ich sterbe : die wahre Geschichte meiner Schwester, Berlin, Ullstein Taschenbuchvlg, 2000, 169 p.

En français

  • La Caravane des chimères, Paris, Éditions de l'Olivier Orban, 1990, 345 p.
  • Ce pays dont je meurs, Paris, Ramsay, 1999, 189 p. 
  • La Retournée, Paris, Ramsay, 2002, 320 p. 
  • Le Voile islamique : histoire et actualité, du Coran à l'affaire du foulard, Lausanne, Éditions Favre, 2002, 196 p. 
  • Pour en finir avec Shahrazad, Tunis, Cérès, 2003, 137 p. 
  • Ce voile qui déchire la France, Paris, Ramsay, 2004, 268 p. 
  • La Deuxième épouse, Paris, Ramsay, 2006, 321 p. 
  • Pour un féminisme méditerranéen, Paris, L'Harmattan, 2012, 102 p. 
  • Je ne suis pas Diam's, Paris, Éditions Stock, 2015, 158 p. 
  • J'ai épousé un Français, Paris, Éditions du Rocher, 2016.
  • Le Corps de ma mère : récit, Paris, Éditions Joëlle Losfeld, 2016, 231 p. 
  • Douze musulmans parlent de Jésus, Paris, Desclée de Brouwer, 2017, 161 p. 
  • J'avais tant de choses à dire encore : entretiens avec Fawzia Zouari, Paris, Desclée de Brouwer, 2017, 124 p.
    Entretiens avec Malek Chebel

Poèmes choisis

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