Valérie Canat de Chizy, caché dévoilé

Par |2019-11-21T19:35:49+01:00 21 novembre 2019|Catégories : Valérie Canat de Chizy|

Valérie Canat de Chizy sem­ble écrire pour tenir ouverte la porte de ses nos­tal­gies, pour ne  pas s’enfuir défini­tive­ment  dans les ter­res du passé, dans ses refuges et lieux de retraite où ris­querait de se dépe­u­pler le présent.

je fais l’ours
je creuse un trou
dans la terre
branch­es de sapin
feuilles de houx
je me recroqueville
dans ma peau
lovée tel un foetus 
dans sa poche d’eau (26)

 

Valérie Canat de Chizy, caché dévoilé, Jacques
André Édi­teur, coll. Poésie XXI, 2019.

Les scènes figées dans les yeux de l’enfance, aus­si vivaces que les bou­tons d’or / que l’on fai­sait détein­dre / sur la peau (60) revi­en­nent dans ses textes comme une ten­dre ritour­nelle, une saveur qui donne un par­fum par­ti­c­uli­er à sa poésie. C’est par ces retours en terre d’enfance qu’elle veut nous dire « le goût pro­fond de ce qu’elle aime » en réso­nance avec le poème de d’Hèlène Cadou qu’elle a choisi de met­tre en exer­gue de son livre.

Ses poèmes dis­ent les rêves lorsqu’ils déposent déli­cate­ment les mots sur la page avec la langue sobre que tis­sent les émois. Et der­rière ces mots tout un monde de sen­ti­ments obscurs, de sen­sa­tions de vide : au dedans le blanc s’installe écrit-elle.

 

des feuilles mortes 
Jonchent le sol
C’est la sai­son du déclin
Les arbres se teintent
De rouge et d’ocre 
( 62)

 

Un monde où la mort se donne à ven­tre ouvert, dans une immen­sité ponc­tuée de quelques touch­es de soi aux pris­es avec l’absence dévo­rante, avec une con­science douloureuse de ce qui est à jamais per­du, pour­tant figé là dans l’éternité d’une his­toire, son his­toire. Les végé­taux et minéraux pénètrent l’intimité organique, l’enlacent sans effu­sion, avec une douce sen­su­al­ité, tapis­sent de pétales les parois du corps : des paque­rettes / sor­tent de ma peau… des rocailles chaudes / à l’intérieur / la poitrine / cou­verte de verdure. 

La tristesse ain­si fleu­rit comme un paysage intérieur, un pro­fond cha­grin qui sem­blait incon­solable et pour­tant d’où jail­lis­sent des éclats de rire, la sen­sa­tion d’être abreuvé. Une étin­celle par­fois / allume le feu  (25) dans la sur­prise d’un instant d’apaisement, d’un moment de bon­heur : …devant les ros­es / aux pétales d’orange / le cœur monte / débor­de dans le vase (38).  Pour­tant jamais la tristesse du temps ne désserre son étreinte. 

Ain­si la poésie de Valérie Canat de Chizy se fau­file à l’intérieur même du chaos en une pro­fu­sion de pétales pour sen­tir le monde vibr­er : je laisse éclore / de minus­cules fleurs/ écrit-elle « présences ténues / aux abor­ds du monde / le sens se tisse / loin des hommes / la vie pal­pite / join­ture entre ciel et océan (55)

Caché dévoilé est un recueil d’une grande justesse, d’une juste authen­tic­ité. Ce recueil nous donne à lire une poésie qui saisit la vie là où elle se vit comme une vague va et vient, berce l’âme. L’écriture de Valérie Canat de Chizy se dévoile sans oser véri­ta­ble­ment le faire, touche le bord des choses, le bord d’elle même sans doute pour ne pas trop creuser, attein­dre trop forte­ment le fond de ce qu’elles voudraient lui dire.

Elle est aveu sur les blessures du temps tou­jours en alerte, sur le vécu de la dif­férence. Faut-il fuir, faire sem­blant d’être une autre, rede­venir petite ?  Ou alors peut-être comme elle le dit de façon si touchante accepter /cette part de moi / juste être / au fond pas si dif­férente / mal acco­mod­ée (36).

Une écri­t­ure qui nait de l’enfance, revient tout près de ses ter­res pour ten­ter de s’en extraire. De s’en dégager un peu.

Cette écri­t­ure nous appelle à une lenteur qua­si con­tem­pla­tive pour mieux pren­dre la mesure de la présence vivante des objets et petits riens du quo­ti­di­en, de la légèreté d’une feuille, de la volatil­ité des cen­dres. Pour mieux s’arrêter sur la fissure.

Une poésie qui se mur­mure comme se mur­mure l’amour à l’oreille des amants. 

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Valérie Canat de Chizy

Valérie Canat de Chizy est  bib­lio­thé­caire à Lyon. Ses pre­mières pub­li­ca­tions parais­sent en 2006 chez Encres vives. D’autres recueils suiv­ront: “Entre le verre et la men­the” chez Jacques André édi­teur en 2008, “Même si” au Pré # car­ré en 2009, “Pierre noire” aux édi­tions de l’Atlantique en 2010. Depuis 2005, elle assure des recen­sions pour la revue Ver­so. Elle est en out­re présente dans divers­es revues de poésie. 
Son blog: http://verrementhe.blogspirit.com

© Crédits pho­tos (sup­primer si inutile)

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

Valérie Canat de Chizy, caché dévoilé

Valérie Canat de Chizy sem­ble écrire pour tenir ouverte la porte de ses nos­tal­gies, pour ne  pas s’enfuir défini­tive­ment  dans les ter­res du passé, dans ses refuges et lieux de retraite où risquerait […]

image_pdfimage_print
mm

Christine Durif-Bruckert

Chris­tine Durif-Bruck­ert, est enseignante chercheure hon­o­raire en psy­cholo­gie sociale et en anthro­polo­gie à l’Université Lyon 2, auteure d’essais, de réc­its et de poésie. ‑Dans le domaine de la recherche, elle mène de nom­breux travaux sur le corps (le corps nour­ri et les enjeux de l’incorporation, le corps féminin, le corps sous emprise), ain­si que sur la mal­adie, psy­chique et soma­tique et sur la rela­tion thérapeu­tique. Out­re la dif­fu­sion d’un grand nom­bre d’articles dans des revues sci­en­tifiques nationales et inter­na­tionales, elle pub­lie : Une fab­uleuse machine. Anthro­polo­gie du corps et phys­i­olo­gie pro­fane. Paris : L’œil Neuf (1ère Édi­tion Anne-Marie Métail­ié, 1994, (2008, Réédi­tion), La nour­ri­t­ure et nous. Corps imag­i­naire et normes sociales. Paris : Armand Col­in. 2007, Expéri­ences anorex­iques, Réc­its de soi, réc­its de soin. 2017, Armand Col­in En 2021, elle coor­donne l’ouvrage col­lec­tif Trans­es aux édi­tions Clas­siques Gar­nier. — En poésie, elle pub­lie Langues, en 2018, chez Jacques André Édi­teur, puis Les Silen­cieuses en 2020 et Le courage des Vivants qu’elle coor­donne avec Alain Crozi­er (2021) Les Édi­tions du Petit Véhicule pub­lient trois livres d’artiste en dia­logue avec la pho­togra­phie (Arbre au vent, Le corps des Pier­res, 2017 et 2018, et en col­lab­o­ra­tion avec Mar­i­lyne Bertonci­ni et Daniel Roux-Reg­nier, Les mains (2021). En 2021, Courbet, l’origine d’un monde, aux Edi­tion inven­it, col­lec­tion Ekphra­sis. Et plus récem­ment, un mono­logue poé­tique, Elle avale les levers du soleil, aux Édi­tions PhB, en cours de mise en scène avec la com­pag­nie Lr Lanterne Rouge (Mar­seille) et en 2023 une con­ver­sa­tion poé­tique, La part du désert co-écrit avec Cédric laplace (Edi­tions Unic­ités) Par­al­lèle­ment, elle pour­suit des pub­li­ca­tions dans divers­es revues de poésie et par­ticipe à des antholo­gies. Sur l’année 2021/2022, elle a par­ticipé aux antholo­gies : Dire oui et Ren­con­tr­er (Flo­rence Saint Roch), Terre à ciel, Je dis DésirS, Jaume Saïs, Edi­tions PVST, Voix Vives, Pré­face de Maïthé Val­lès-Bled, Édi­tions Bruno Doucey, Mots de paix et d’Espérance, réu­nis et traduits par Mar­i­lyne Bertonci­ni, Edi­tions Oxybia…

Sommaires

Aller en haut