Valérie Canat de Chizy semble écrire pour tenir ouverte la porte de ses nostalgies, pour ne pas s’enfuir définitivement dans les terres du passé, dans ses refuges et lieux de retraite où risquerait de se dépeupler le présent.
je fais l’ours
je creuse un trou
dans la terre
branches de sapin
feuilles de houx
je me recroqueville
dans ma peau
lovée tel un foetus
dans sa poche d’eau (26)
Valérie Canat de Chizy, caché dévoilé, Jacques
André Éditeur, coll. Poésie XXI, 2019.
Les scènes figées dans les yeux de l’enfance, aussi vivaces que les boutons d’or / que l’on faisait déteindre / sur la peau (60) reviennent dans ses textes comme une tendre ritournelle, une saveur qui donne un parfum particulier à sa poésie. C’est par ces retours en terre d’enfance qu’elle veut nous dire « le goût profond de ce qu’elle aime » en résonance avec le poème de d’Hèlène Cadou qu’elle a choisi de mettre en exergue de son livre.
Ses poèmes disent les rêves lorsqu’ils déposent délicatement les mots sur la page avec la langue sobre que tissent les émois. Et derrière ces mots tout un monde de sentiments obscurs, de sensations de vide : au dedans le blanc s’installe écrit-elle.
des feuilles mortes
Jonchent le sol
C’est la saison du déclin
Les arbres se teintent
De rouge et d’ocre ( 62)
Un monde où la mort se donne à ventre ouvert, dans une immensité ponctuée de quelques touches de soi aux prises avec l’absence dévorante, avec une conscience douloureuse de ce qui est à jamais perdu, pourtant figé là dans l’éternité d’une histoire, son histoire. Les végétaux et minéraux pénètrent l’intimité organique, l’enlacent sans effusion, avec une douce sensualité, tapissent de pétales les parois du corps : des paquerettes / sortent de ma peau… des rocailles chaudes / à l’intérieur / la poitrine / couverte de verdure.
La tristesse ainsi fleurit comme un paysage intérieur, un profond chagrin qui semblait inconsolable et pourtant d’où jaillissent des éclats de rire, la sensation d’être abreuvé. Une étincelle parfois / allume le feu (25) dans la surprise d’un instant d’apaisement, d’un moment de bonheur : …devant les roses / aux pétales d’orange / le cœur monte / déborde dans le vase (38). Pourtant jamais la tristesse du temps ne désserre son étreinte.
Ainsi la poésie de Valérie Canat de Chizy se faufile à l’intérieur même du chaos en une profusion de pétales pour sentir le monde vibrer : je laisse éclore / de minuscules fleurs/ écrit-elle « présences ténues / aux abords du monde / le sens se tisse / loin des hommes / la vie palpite / jointure entre ciel et océan (55)
Caché dévoilé est un recueil d’une grande justesse, d’une juste authenticité. Ce recueil nous donne à lire une poésie qui saisit la vie là où elle se vit comme une vague va et vient, berce l’âme. L’écriture de Valérie Canat de Chizy se dévoile sans oser véritablement le faire, touche le bord des choses, le bord d’elle même sans doute pour ne pas trop creuser, atteindre trop fortement le fond de ce qu’elles voudraient lui dire.
Elle est aveu sur les blessures du temps toujours en alerte, sur le vécu de la différence. Faut-il fuir, faire semblant d’être une autre, redevenir petite ? Ou alors peut-être comme elle le dit de façon si touchante accepter /cette part de moi / juste être / au fond pas si différente / mal accomodée (36).
Une écriture qui nait de l’enfance, revient tout près de ses terres pour tenter de s’en extraire. De s’en dégager un peu.
Cette écriture nous appelle à une lenteur quasi contemplative pour mieux prendre la mesure de la présence vivante des objets et petits riens du quotidien, de la légèreté d’une feuille, de la volatilité des cendres. Pour mieux s’arrêter sur la fissure.
Une poésie qui se murmure comme se murmure l’amour à l’oreille des amants.
Présentation de l’auteur
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