Ce nouveau livre de Fabien Abrassart, formé d’un seul long poème, se distribue en quatre chapitres nommés chacun « Rouleau ». Car ce poème, qui esquisse un mythe inconnu ou bien oublié, se déroule et se déplie en des stances pulsatiles, des strophes qui sont autant de mantras scandés dans un rythme hallucinant. Il faut lire ce texte d’une traite afin que les coulées de son flux puissent se déployer selon leur propre mesure et se faire ressentir dans leur être propre.
C’est reparti dans la fièvre allons nage
à travers les mythologies il n’y a rien
d’autre en stock dans la mémoire ou
d’anciens toi-même figés dans le formol
pour s’arracher l’époque et toi qui me
croyais subtil
Ces phrases liquides sont à accueillir sans chercher à les comprendre immédiatement sur le plan cognitif car il s’agit bien plutôt d’un martèlement physique qui nous ébranle, qui démonte en nous ce que le langage avait d’entendu et de préfabriqué.
Fabien Abrassart, Vers la joie, L’herbe qui tremble, 2022, 92 pages, 15 €.
Vivre également est fait de ratés je suis
fait comme tous les rats du monde par le
piège du langage
Car il s’agit d’un écrit halluciné, délirant par trop de raison, un mythe inconnu ou oublié, seule forme littéraire susceptible de saisir ce « quelque chose de vrai », « le plus important » comme disait Léon Chestov, cela même qui ne se laisse pas identifier à la façon d’une chose figée. L’Apocalypse a déjà eu lieu, mais nous sommes toujours là, vivants, et nous pouvons dès lors aller vers la joie puisque le langage et l’écriture ont survécu. Leurs lambeaux maintenant ne peuvent plus fabriquer de mensonges : la vérité a éclaté en morceaux et le poème d’Abrassart les rassemble et nous les livre.
L’Apocalypse a eu lieu depuis la genèse et je
suis là coincé dans une simple bête à me
rebeller contre ton absence
Ce texte, très construit et élaboré durant plusieurs années, est d’une langue absolument singulière. Il se présente, et c’est essentiel à souligner, avec la structure d’un dialogue entre un « Tu » mystérieux et inatteignable ‒ un autre qui inclut sans aucun doute le lecteur ‒ et un « Je » qui s’avère être une monade à la manière de Leibniz, un « Je » qui reflèterait en lui-même la totalité du monde et de la réalité, et cela malgré lui et à son corps défendant, ce qui, dans un premier temps, le confronte à son propre désespoir puisqu’il séjourne dans une solitude radicale.
Tu me parles depuis l’autre que j’ignore
tu révèles ta demeure en ma prison tu
cherches malgré moi le dialogue je crois
découvrir un lieu parce qu’il y aurait des
phrases je demeure sans véritable récit
je serai le plus simple possible
Vers la joie, ce livre de Fabien Abrassart nous annonce que seul l’autre sauve, un autre qui ne serait pas un enfer, ni un être identifiable, mais demeurant dans l’indéterminé.
Monter vers toi dans la rencontre où je
renonce à la séduction de la mortOu descendre vers toi j’encourage à
flétrir au plus vite et parcourir tous les
degrés du désespoir
Et pourtant, la barrière de ce dialogue est telle que celui-ci tente à l’infini de se constituer, répétitivement, dans un rythme haletant, et qu’il vient buter contre le mur de l’incompréhension tant du sujet qui parle que de celui qui a pour charge d’entendre et d’accueillir cette parole. Ce poème, par sa profération prophétique, nous délivre ainsi une parole condamnée à être ce qu’elle doit être, à savoir inouïe.
Les paroles des prophètes flambent dans
ma chair nous saignons tous à partir
d’un même calice
Présentation de l’auteur
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