Vincent Motard-Avargues, Tant de silences…
Deux recueils, deux modalités de décliner le poème, qui se fait toujours aussi dense, grâce à une écriture qui dévoile toutes les potentialités de la langue…Des images superbes et ciselées avec si peu de mots qu’elle révèlent presque une magie, celle qui se déploie lorsque s’écrit la poésie.
Si peu, tout
Si peu, tout, recueil de 2012, est fidèle à l’annonce de la couverture : quelques lettres qui énoncent le nom de leur auteur, le titre et le nom de la maison d’édition. Un tout petit condensé de 52 pages dont le dispositif tutélaire est le reflet de ce qui s’y déroule. Un poème, unique et rare, dévoilé page à page, où s’égrainent quelques mots, qui se suivent, se superposent jouxtent les suivants, comme des clichés photographiques, un album de réminiscences, d’instantanés, que l’on pourrait feuilleter d’avant en arrière, d’arrière en avant. Mais il ne s’agit pas que de cela. Métaphore du travail de la mémoire, des ressacs de la pensée, ce poème qui se dévoile petit à petit comme le puzzle de nos couches d’inconscient et de réminiscences est une merveille de délicatesse, de sensibilité. L’énonciateur nous invite à le suivre, à regarder avec lui
Ce qui
reste
quand on
ferme les yeux
La main
gantée
de silences
ocres
La flèche
argentée
de l’amertume
Le marteau
carmin
de la souvenance
L’acide des
larmes
vertes
(Clichés
si
inéluctables)
Vincent Motard-Avargues, Si peu, tout, Eclats d’encre, Paris, 2012, 52 pages, 12 €
Ces quelques vers, trois par page, ouvrent le chemin d’une lente déambulation au gré des souvenirs et des états d’âme du poète. Sans jamais d’épanchement superfétatoire, il nous ouvre à un univers unique grâce à la lecture de ses interrogations, qui dépassent aisément le cercle de son parcours individuel pour s’ouvrir à un questionnement sur le sens de la vie. Et de conclure avec ces vers qui se suivent sur les deux dernières pages de Si peu, tout, superbement, en ouvrant sur un futur juste effleuré par cet emploi magistralement poétique de la langue :
Je sème
rose en terretu pousseras
au dehors de cette
absencel’engrais
d’une jeunesse
avalée
par l’éternitéun cœur
à mille corps
éplorés
Recul du trait de côte
Vincent Motard-Avargues n’a pas renoncé à ce jeu avec l’espace scriptural, qui propose dans Recul du trait de côte, paru après Si peu tout, des textes qui, bien que plus étoffés, n’en conservent pas moins la ténuité et la puissance de son écriture poétique. Le mouvement de cette poésie, pareille au ressac des vagues sur le rivage, oscille entre passé et présent, et cherche à énoncer l’impossible, cette douleur à être au monde, et dans le même mouvement le désir d’exister. Le poème tente de rendre compte aussi parfois de sa propre existence, dans une écriture souvent réflexive, où l’emploi du pronom personnel de la deuxième personne du singulier met le sujet à distance. Tenter une définition de soi-même par la négative, métaphore du poète en quête d’identité, puis énoncer son existence dans l’immanence d’une transcendance salvatrice :
Tu n’es pas cette île
qui berce l’océan
de son pas éclatant et
vif malgré le rien
de ses heurestu n’es pas ce voilier
qui s’oublie en pleine
tempête au beau
milieu du silence des
tremblements d’airtu n’es pas ce poisson
qui perd ses eaux en
donnant un nom à
la mort aux plus intenses
heures de l’absence ivretu n’es pas ce fond
qui oblige à la distance
et où se repose le repos
d’avoir trop peu demandé
sans jamais de questiontu es le temps
tu es l’ailleurs
tu es l’à-peu-près
tu es le murmure
tu es.
Vincent Motard-Avargues, Recul du trait de côte, La Crypte, Hagetmau, 2014, 8 €
Au-delà du souvenir, des éléments anecdotiques de l’existence, Vincent Motard-Avargues tente aussi de rendre compte du sens du poème, et de ce que peut représenter l’acte d’écrire :
Les mêmes mots
les mêmes vers
lLes mêmes riensje ressasse
je reviens
je retournela même eau
la même veine
la même vieje m’écoule
je m’écroule
je m’étiole.
L’impossibilité de dire l’innommable, champ exploré de tout temps par la littérature, qui ne peut aborder de thématiques telles que la mort, l’amour, la souffrance, qu’en terme de détournement, pour créer cette émotion que crée l’art, sont dans cette poésie, au cœur de chaque vers. L'anaphore, figure souvent utilisée par le poète, rythme et structure nombre de textes, et dans ce ressac des mots, comme celui des vagues, s'inscrit l'éternel mouvement, celui du déploiement incessant des vagues sur le rivage, et celui de la mémoire.
Vincent Motard-Avargues est un poète discret. Il existe dans l’effacement, tout comme ses vers, qui mènent le lecteur vers une traversée de lui-même, où le vent balaie les souvenirs, pour laisser place non pas au renoncement, mais à la pureté d’une posture dépossédée de toute trace. Laissons lui ouvrir l’espace de la disparition de nos doutes :
J'ai marché là
en mes pas
sur mes pieds
qui ne sont pluspourtant restent eux-mêmes
ai vécu ces rues
avenues commerces maisons
buttes et rives
cailloux et sableque vis
ai aimé ce qu'aime
haï ce que hais
tout reste tout
rien demeure rienmon image flotte ici.