Waston Charles, Seins noirs
Il faut oser le « Je ». Le « Je » se déclame, s’assume, se décline pour s’incliner vers l’autre, les corps, la mer, le fleuve ou le ciel. Watson Charles réussit cet exploit d’une poésie à la première personne.
Car, quand on dit « Je », les écueils sont nombreux. Entre la complaisance, le nombrilisme ou l’image facile, le « Je » peut s’écraser et faire s’échouer le poète. Il faut donc un « Je » qui, à travers les bonheurs et les misères d’un monde, aille chercher un horizon ou un silence. Alors, de possiblement ridicule, le « Je » se transfigure, magnifique.
(…)
Chaque instant
Je ressens le rire des clochers
Comme cette pierre dont je suis fait
Cette main tendue
Tel un morceau de givre
Ne fallait-il pas l’arracher dans la bouche du mendiant
Je parle de ce vent qui nous fait vivre
Et du ciel chargé de pluie
(…)
Watson Charles, Seins noirs, Éditions Æthalidès, 2022, 128 pages, 17 €.
La musique de Watson Charles rappelle celle de Césaire ou de Saint-John Perse. Ses images font écho à celles de Jean d’Amérique ou de Coutechève Lajoie Aupont, plus proches de nous. Est-ce à dire que, désormais, seuls les poètes insulaires seront « sauvés » ? Quand on lit ces pages lumineuses et que, parallèlement, on parcourt nombre de recueils de poésie récents, on ne peut que se demander si le béton de nos villes tristes et pluvieuses ne recouvre pas automatiquement les terres intérieures ainsi que les mains qui tentent de s’en extraire. Nous, lecteurs, devons croire à une langue non figée qui avale tout ce qui coule à sa portée : « le ciel aplati et noir », « l’absinthe qui sort de la bouche du voleur » ou encore « la foudre gisant près des rivages ». Nous devons croire à une écriture riche, audacieuse et généreuse comme celle de Watson Charles.