La longue préface de Jacques Darras permet de situer William Blake dans son époque, de prendre conscience du fait que sa poésie est singulière. Alors que la plupart des poètes pré-romantiques fuient la ville, lui reste à Londres. Jacques Darras souligne l’influence de Jacob Böhme, une filiation mystique visible dans Le Mariage du Ciel et de l’Enfer justement.
William Blake épie les merveilles visibles et invisibles : le silencieux refuge des nids, la lune qui sourit, les anges. On croise de nombreux enfants. Des adultes malheureux aussi : ramoneurs et soldats éreintés, prostituées malades. Les opposés attirent le poète. Ne parler que d’un pôle serait mentir.
This Angel, who is now become a Devil, is my particular friend : we often read the Bible together in its infernal or diabolical sense, which the world shall have if they behave well.
I have also : The Bible of Hell, which the world shall have whether they will or no.
Cet Ange, aujourd’hui devenu Démon, est mon ami favori, nous lisons très souvent la Bible ensemble dans son interprétation diabolique ou infernale, à laquelle le monde pourra accéder un jour s’il se conduit bien.
Je possède également une Bible de l’Enfer, que le monde aura, qu’il le souhaite ou non.
Le texte intitulé Prémisses d’innocence, écrit dix-sept ans après Le Mariage du Ciel et de l’Enfer, s’est élevé sur les mêmes fondations.
To see a World in a Grain of Sand
And a Heaven in a Wild Flower :
Hold Infinity in the palm of your hand
And Eternity in an hour.[…]
A Horse misusd upon the Road
Calls to Heaven for Human blood.
Each outcry of the hunted Hare
A fibre from the Brain does tear.[…]
It is right it should be so :
Man was made for Joy § Woe,
And when this we rightly know
Thro the World we safely go.[…]
Every Morn § every Night
Some are Born to sweet delight.
Some are Born to sweet delight,
Some are Born to Endless Night.
Découvrir l’Univers dans un Grain de Sable
Voir un Paradis dans la Fleur des Champs :
Contenir dans sa paume l’Infinissable
Lire l’Éternité dans une heure au cadran.[…]
Cheval sur les routes qu’on maltraite
Exige que du sang d’homme il y ait dette.
Le moindre cri dans la gorge du Lièvre traqué
C’est fibre au Cerveau de l’Homme arrachée.[…]
C’est bien normal qu’il en soit ainsi :
Qu’il y ait Joie § Pleurs dans la vie,
Et si une fois pour toutes tu le sais,
Au monde tu peux tranquillement aller.[…]
Toutes les nuits § tous les matins
Naissent au plaisir les autres les uns.
Naissent au plaisir les autres les uns
Et d’autres à la nuit sans fin.
On trouvera dans ce recueil des aphorismes au travers desquels William Blake s’éloigne de la poésie et entre en dialogue avec les philosophes, des sortes de fables aussi.
Un petit lexique, à la fin de l’ouvrage, aide le lecteur à ne pas se perdre en chemin. Car William Blake a créé une véritable mythologie puis écrit de longs poèmes épiques : Le livre d’Urizen par exemple, l’envers de la Bible, l’histoire de la Chute. En voici un court passage, dans lequel il est question d’Enitharmon, déesse égoïste.
Coild within Enitharmon’s womb
The serpent grew, casting its scales ;
With sharp pangs the hissings began
To change to a grating cry.
Many sorrows and dismal throes
Many forms of fish, bird § beast,
Brought forth an Infant form
Where was a worm before.
Lové dans le ventre d’Enitharmon
Le serpent grandit, ses écailles muent ;
Ses sifflements affreusement aigus
Se changent en cris âpres.
Mille chagrins et convulsions horribles
Mille formes de poissons, bêtes § oiseaux
Façonnent, font naître une forme d’Enfant
Là où il n’y avait qu’un ver.
Cet enfant s’appelle Orc. Ce personnage sera le héros révolutionnaire de William Blake. En 1795, la problématique de la Révolution Française est très présente sur le sol de l’Angleterre monarchiste.
Si William Blake a longtemps été considéré comme pré-romantique, son œuvre est finalement assez indéfinissable, si ce n’est justement par sa nature changeante. En outre, William Blake a plusieurs cordes à son arc : il n’a pas écrit seulement mais dessiné, peint, et a aussi été graveur. Il avait quinze ans lorsqu’il a travaillé la première fois chez un graveur. Sept ans plus tard, il a été admis à l’Ecole de l’Académie royale. Et parallèlement à cette formation, il n’a cessé d’écrire et d’illustrer ses textes.