Xavier Bordes, L’œuvre du Noir
Quelque part à l’horizon où la poussière de silice rousse
S’efface en longeant le mirage
Je regarde passer le souvenir des Hommes du Matin
Égrenant leurs caravanes bleues
De rares touffes de cet halfa gris qu’on tresse pour les couffes
Ponctuent la distance ondulante
Sparte et l’alphabet grec Les soldats noirs sur les poteries rouges
Achille nu brandit sa lance contre Hector
Bizarre comme dans ma tête un mot arabe
Réveille d’injustifiables images
Voici le soukh et ses couffins avec leurs cônes colorés
Poudre d’épices, de grains aux noms oubliés
Pareilles à ces bols de toutes les couleurs
Dont tu broyais dans l’huile cuite et odorante
(A faire bouillonner jusqu’à ce que le duvet frise !)
Le cadmium, l’outremer, le vermillon, la strontiane et la garance…
A présent c’est Van Eyck et son vernis d’ambre dissout à froid
Qui paraît : Giovanni Arnolfini et son épouse Le lustre cuivré
Plus bas le miroir de sorcière et plus bas le cabot grincheux
Et les socques de bois dans le coin gauche…
L’émerveillement absolu ! Ah si tu pouvais peindre
Avec l’ambre des mots un réel qui soit aussi solide
Et traverse le temps ! Mais ton poème à toi
Est comme l’horizon qui tremble en longeant le mirage !
Juste un souffle d’air pur et l’immense désert blême
Tandis que dans le ciel du soir – à l’instant où commence
Ton écriture ténébreuse – ne s’allume
Qu’une beauté impartagée et son frisson d’étoile solitaire !