Yannis Ritsos, Dix-huit petites chansons de la patrie amère
Entrer en l’œuvre d'un poète moult fois lu, comme retrouver ce territoire connu, aimé, rassurant, réconfortant, du poème ; sentir cette force, alors en soi, lampe de la résistance, face à la nuit de jours aveugles. De Nazim Hiksmet à Federico Garcia Lorca, en passant par Aragon et bien sûr Yannis Ritsos, cette même intensité du vivre, ce même engagement de soi, où le poème est un chant adressé tout autant aux oreilles des frères et sœurs, qu'à celles des bourreaux.
Ce chant, comme ces dix-huit chants, cette poésie démotique, poésie des chansons populaires qui fleurissaient en Grèce, bien avant que Ritsos ne s'en empare, ne se les approprie ; poésie démotique qui parlait au peuple en résistance contre l'envahisseur, devint alors, dans les vers du poète, cette résistance contre l'envahisseur intérieur, cette dictature arrivée avec le général Pangalos, au début des années vingt, jusqu'à la fin du régime des colonels, au milieu des années soixante-dix.
Ces dix-huit chants, brefs et intenses comme des coups de couteau, à la lame si aiguisée qu'elle déchire la chair du silence ; écris en respectant la forme ancienne, distiques de quinze pieds - forme stricte, pour fond de liberté ; cette liberté qui manquait tant au poète, alors enfermé à Parthéni, dans l'île de Léros ; cette prison insulaire où, chaque matin, à l'aube, il composait ses chants, sur tout ce qu'il pouvait trouver pour écrire, des bouts de papier, des paquets de cigarette.
Ces chants mis en musique, par son ami, le compositeur Mikis Théodorakis, lequel les lui avait commandé, comme on demande à un ami de, non pas résister, mais se battre, avec les seules armes de l'espoir, les mots.
Extrait :
4.Peuple
Un petit peuple qui lutte sans les sabres ni les balles
pour le pain du monde entier, pour la lumière et la chanson.
Il retient dans sa gorge lamentations et ovations
et s'il se risque à les chanter, les pierres se fendent.