La conjonction de coordination « et » reliant L’écriture et la vie, essai en trois tomes dont l’écrivain-chercheur Yves Ouallet retrace les étapes de ce lien essentiel, s’interprète en hommage au titre de l’ouvrage de Jorge Semprun sur son expérience concentrationnaire à Buchenwald, L’écriture ou la vie, à travers lequel le résistant d’expression castillane et française, né à Madrid, retrace ce qui ne peut être donné à ceux qui n’ont pas connu les camps : vivre sa mort. Un temps, il va croire qu’on peut exorciser la mort par l’écriture. Mais écrire renvoie à la mort. Pour s’arracher à ce cercle vicieux, dans un tourbillon de la mémoire, l’œuvre d’art qui sera tirée ensuite de cette expérience âpre, fondatrice, et qui aurait pu se nommer L’écriture ou la mort dresse mille scènes, mille histoires qui font de ce livre sur la mort un ouvrage extrêmement vif…
À travers cette substitution du « et » au « ou » du titre original, le penseur héritier de la réflexion de son aîné, met en exergue comment c’est précisément dans ces situations extrêmes, dont le philosophe Adorno, s’efforçant de mesurer les conséquences encore plus radicales du camp d’extermination Auschwitz, affirmera désormais : « Il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes », que – paradoxalement – le recours au poème s’avère nécessaire, impérieux, vital ! Ainsi, de la figure d’Ulysse retrouvant sa part d’humanité à son retour à Ithaque, à travers le regard de son vieux chien Argos, dans l’Odyssée d’Homère, à l’évocation de la formule d’introduction du fameux sonnet nostalgique, dans Les Regrets de Joachim Du Bellay : « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage… », en passant par Le chant d’Ulysse, dans La Divine Comédie de Dante, le mythique voyageur, en quête de son pays natal, se révèle inspiration de survie, dans l’Enfer des camps, sous la plume de ses plus grands témoins, notamment dans L’Espèce humaine de Robert Antelme ou dans Si c’est un homme de Primo Levi…
Dès la question inaugurale d’Hölderlin : « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » ouvrant le chapitre central du tome consacré à La survie poétique, et même auparavant, dans le déploiement de celui étudiant les Inscriptions : « Inscrire », « S’écrire », c’est en se reliant à la profondeur de L’identité poétique que les hommes prisonniers de leur époque peuvent espérer survivre, devenir des survivants, vivre à nouveau, reprendre de la hauteur !
Yves Ouallet, L’écriture et la vie, Tome I, Inscriptions, éditions Phloème, 184 pages, 23 euros.
Dès lors, dans la conscience de cette nécessité, le tome ultime Éthique et écriture met en exergue l’articulation fine entre vivre et écrire, conjurant à la fois l’interdiction d’écrire et l’impossibilité de vivre, dans une éthique de nos existences débordant l’esthétique des écrits dont le poème n’en garde que l’éclat…
Alors, fort de cette triple réflexion sur les implications anthropologiques, poétiques et éthiques, d’une telle écriture envisagée comme survie, s’élève le chant personnel du poète, véritable cri à la fois d’un témoin et d’un combattant face à l’Apocalypse pour notre temps ! De l’adieu impossible à la littérature, se détache ce fragment d’un cœur palpitant du mystère, vision de jours nouveaux entraperçus, arrachés aux ténèbres contemporaines, pour mieux en exaucer la lueur souveraine, final en apothéose de la traversée apocalyptique de notre temps si sombre et si lumineux à la fois : « Chaque chant s’élève chaque roseau chaque oiseau / chante en son jargon nouveau l’Hymne à la Joie / le lys martagon répond au rossignol gorge bleue / le nourrisson babille avec l’oisillon / Babel est heureuse et se fond dans la Forêt joyeuse / radieuse dans les cieux vogue la Planète Bleue / dans la lumière du Soleil / et la poussière des étoiles. »
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