Le poète breton Yvon Le Men vient d’obtenir le Prix Paul-Verlaine, Prix de poésie de l’Académie française, prix annuel constitué en 1994 par le regroupement des Fondations Valentine Petresco de Wolmar et Anthony Valabrègue.
Yvon Le Men est récompensé pour deux de ses livres publiés en 2021. Le premier est La baie vitrée publié chez Bruno Doucey, livre dans lequel il évoque son expérience personnelle du confinement et qui a été présenté dans Recours au poème le 6 septembre 2021. Le deuxième s’intitule « A perte de ciel » et a été publié chez Bayard. Il est consacré à l’admiration que voue le poète au Mont saint-Michel.
Yvon Le Men (né en 1953) avait obtenu en 2019 le prix Goncourt de la poésie. Auteur d’une œuvre importante (poèmes, récits, essais…), il dit sur scène ses poèmes dans des récitals qui l’ont fait connaître largement au-delà de la Bretagne. Aujourd’hui, de sa rencontre avec le musicien multi-instrumentiste Nicolas Repac est né un spectacle et un CD publié aux Edition Kerig, intitulé « Lampe Tempête » où l’on retrouve des extraits de La baie vitrée et de A perte de ciel ».
Version longue de la rencontre avec Yvon Le Men, qui a eu lieu le 6 mai 2009 à la librairie Dialogues à Brest, à l’occasion de la parution du livre Si tu me quittes, je m’en vais (éditions Flammarion).
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A perte de ciel
L’épopée du Mont Saint-Michel sous la plume d’un poète : la démarche ne manque pas d’originalité. Mais Yvon Le Men va, ici, bien au-delà de son propre émerveillement devant la Merveille. C’est à un véritable pèlerinage spirituel qu’il nous convie, dont il est le principal acteur.
On ne compte dans ce livre le nombre de portes d’entrée au Mont Saint-Michel. Yvon Le Men les multiplie à souhait nous invitant à la fois à méditer sur ce lieu exceptionnel et à parcourir, dans son sillage, divers épisodes de sa propre vie. Lui qui est passé de la « foi du charbonnier » (celle de son enfance trégoroise) aux interrogations d’ordre métaphysique qui sont les siennes aujourd’hui. « Il faudrait que chacun vide sa propre abbaye/pour la remplir de ses chants et de ses rêves d’abbaye », écrit-il. « Il faudrait /que tout monte en nous/quand on monte vers le Mont ».
Yvon Le Men gagné par la foi ? Après les Exercices d’incroyance de Gérard Le Gouic (Gallimard) assisterait-on ici à une forme « d’Exercices de croyance » de la part du poète breton (publié pour l’occasion par un éditeur catholique) ? Ce n’est pas si simple, même si Yvon Le Men n’a jamais caché sa quête d’une forme de transcendance. On connaît notamment les liens qui l’attachaient au poète juif Claude Vigée (qu’il évoque d’ailleurs dans ce livre) ou encore à Xavier Grall, à propos duquel il écrit : « Ensemble nous cherchions/lui Dieu/moi eux/les hommes et les femmes filles et fils de Dieu ». N’a‑t-il pas aussi parmi ses amis le poète Gilles Baudry, « frère en l’abbaye de Landévennec/où je me rends une fois par an » ?
Yvon Le Men, A perte de ciel, Bayard 2021, 196 pages, 16,90 euros.
L’occasion aussi d’évoquer les figures de saint Colomban ou de saint Yves que l’on célèbre à Tréguier dans son Trégor natal. Evoquant les moines copistes comme ceux qui vécurent au Mont, il écrit : « Si j’avais été moine (…) j’aurais recopié/cet hymne sur le paradis de saint Ephrem de Syrie : « Personne n’y travaille/car chacun n’y a faim/personne n’y vieillit/car personne n’y meurt ».
On le voit. Ce livre est un patchwork de confessions, de réminiscences, de tranches d’histoire personnelle. Le poète n’évoque-t-il pas, à nouveau, les doigts des cantonniers (comme l’était son père) ou les yeux des couturières (comme l’était sa mère) ? Le Mont, dans sa magnificence surplombe le récit poétique en miettes de sa propre existence et devient le lieu d’une quête inassouvie, d’un vrai pèlerinage ascensionnel.
Le Men parle d’une « possibilité d’éternité » à propos d’un lieu qui lui était apparu pour la première fois, quand il était gamin, sur le calendrier des Postes et qu’il revisite cette fois par l’imagination «parce que je pouvais plus m’y rendre en vrai, avec le corps, entouré qu’il était, comme nous tous, de la pandémie, de la maladie, de la mort peut-être ». Et s’il fallait « s’inventer une seconde demeure », le poète breton fait même cet aveu : « Elle est/elle serait le Mont-Saint-Michel/comme un escalier que je prendrais pour le ciel ».
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Yvon Le Men derrière sa baie vitrée1
Un poète dans le confinement. Comme beaucoup d’écrivains, Yvon Le Men évoque ici son expérience personnelle de mise à l’écart forcé du monde lors des premiers mois de la pandémie. Le voici derrière la baie vitrée de sa maison de Lannion avec cette peur « de tomber dans la maladie / comme on tombe dans un cauchemar ». Mais le poète sait aussi nous mener ailleurs.
Ecriture lapidaire. Deux vers, trois vers, puis un blanc, puis de nouveau deux vers, un vers… Comme pour témoigner de cette vie en miettes que le/la Covid nous a imposée. Yvon Le Men nous parle de sa « maison enroulée autour de ses fenêtres », des fenêtres qui deviennent des hublots pour accéder à une nature environnante faisant comme si de rien n’était. Car les oiseaux sont bien là, tout à leurs occupations (« la peur donne des ailes mais seulement aux oiseaux »), mais aussi les fleurs du mois de mars, sans oublier ses deux pommiers « côte à côte / branches à fleurs ».
Le poète a tout le temps de contempler, de s’émerveiller. Sa baie vitrée – comme le nom l’indique – ouvre de larges perspectives. Elle lui permet d’élargir la focale, sauf quand les volets roulants se bloquent et qu’il se trouve brutalement « confiné dans le confinement ». Heureusement un artisan viendra. « J’avais besoin de ses mains ». Opportune visite d’un réparateur accueilli comme le Messie. « J’avais besoin / de quelqu’un / d’un besoin d’humanité ». Besoin, aussi, du « pain de mots / produit de première nécessité » dont il est provisoirement privé quand il casse accidentellement son téléphone.
Yvon Le Men, La baie vitrée, éditions Bruno Doucey, 153 pages, 16 euros.
Mais le poète n’est pas là pour s’apitoyer sur son cas personnel. Il sait que le drame s’installe aux alentours. « La vieille dame qui est morte / hier // n’a pas vu la clochette / seule // parmi les primevères ». Cette mortalité galopante (« les morts débordent ») le ramène à une expérience intime de la mort à travers la figure d’un père trop tôt disparu. Mais s’il se met à l’écoute d’un passé douloureux, il ne se cantonne pas pour autant à son pré-carré trégorois. Le voici en correspondance avec un ami chinois. « J’étais inquiet pour lui / hier // Il est inquiet pour moi/aujourd’hui. »
Elargissant encore plus son champ de vision, Yvon Le Men nous fait envisager notre belle planète bleue (aujourd’hui bien abimée) à travers le regard de spationautes. L’art de prendre de la hauteur. Et il cite Jean-Loup Chrétien parlant de notre planète terre : « Seul un enfant dans son innocence pourrait appréhender la pureté et la splendeur de cette vision ». C’est, sans aucun doute, cet émerveillement que le poète nous invite, en dépit de tout, à retrouver. Et si la pandémie en était l’occasion ! Au fond, laver notre regard sur le monde pour que, à l’image de son ami poète Claude Vigée, récemment disparu, on sache écouter chanter le rouge-gorge « dans l’amandier / invisible ».
Note
- Article de Pierre Tanguy publié sur Recours au poème en septembre 2021.
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Ma langue est poésie : Yvon Le Men, Massimo Dean, Chris Ames, Les Cafés littéraires : Festival Saint-Malo Étonnants Voyageurs 2022 Du 4 au 6 juin 2022, toute l’actualité littéraire des derniers mois. En compagnie de Maette Chantrel et de Pascal Jourdana.
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