Prix Goncourt 2019 de poésie
Yvon Le Men : un poète à plein temps
Il est une exception dans le paysage poétique français. Yvon Le Men vit de la poésie à plein temps. Poète professionnel ? L’expression ne lui plairait guère. Disons, plutôt, auteur-compositeur-interprète. A la manière d’un chanteur. D’un artiste.
Cette volonté de vivre de sa poésie lui est venue très tôt. Sans doute l’environnement culturel de ses débuts y a été pour beaucoup. Quand il publie, à 21 ans, son premier recueil intitulé Vie (éditions Oswald), la Bretagne connaît une effervescence musicale et littéraire (dans la foulée de mai 68) d’où émergent les noms des chanteurs Stivell, Glenmor, Servat, Gwernig, Kerguiduff, et des écrivains et poètes Xavier Grall ou Paol Keineg. Yvon Le Men s’inscrit d’une certaine manière dans cette mouvance et commence à dire ses poèmes sur les tréteaux des fêtes bretonnes ou dans de petites maisons des jeunes et de la culture. Il est alors associé, au sein d’une coopérative appelée Névénoé, à des chanteurs nommés Gérard Delahaye, Patrick Ewen, Melaine Favennec, Christen Noguès…
Yvon Le Men et Yvon Boëlle, Bretagne,
Editions Apogée, collection Terre celte,
2000, 47 pages, 7,50 €.
Le Men dit la Bretagne mais ce n’est pas un barde. Il dit surtout l’urgence de vivre. Il dit aussi son espoir d’un monde meilleur et défend les ouvriers « en lutte ». Car il sait de quoi il parle. Issu d’un milieu très populaire du pays de Tréguier (Côtes d’Armor), où il est né en 1953, le poète a l’humeur rageuse et le verbe haut. Mais il ne verse jamais dans l’idéologie ni le discours militant même si certains auteurs, marqués très politiquement, l’ont profondément influencé, à l’image de Nazim Hikmet
En réalité, Yvon Le Men se cherche d’abord un père. Le premier et grand drame de sa vie a été la mort de son père alors qu’il avait 12 ans. Il trouvera très vite écoute et réconfort auprès de grands auteurs et poètes avec qui il correspondra et qu’il rencontrera : Jean Malrieu, Eugène Guillevic, Xavier Grall… Il dit leurs textes dans ses propres récitals. Et le bouche à oreille fait très vite son œuvre puisque l’on commencera à solliciter l’auteur de partout. Mais il aura fallu auparavant passer par quelques années de vraies vaches maigres. Le Men aura tenu bon « malgré le froid et presque la faim »,comme il le dira plus tard dans son recueil A l’entrée du jour (Flammarion, 1984)
La disparition d’êtres proches (notamment de jeunes femmes) accentuera très vite le côté intimiste de son œuvre. C’est le cas notamment dans L’échappée blanche (Rougerie, 1995) où il aborde aussi des questions d’ordre métaphysique. Le Men resserre alors son écriture. Sa poésie, simple et limpide, flirte souvent avec la prose. Fini le temps de la fièvre et d’une forme d’exaltation. Le poète en vient même à approcher, avec talent, le haïku (Le chemin de halage,Ubacs, 1991). « Large courbe//don du temps/à la rivière »
Viendra ensuite sa grande période de découverte du monde, dans la mouvance de ces « Etonnants voyageurs » que réunit chaque année Michel Le Bris lors d’un important salon du livre à Saint-Malo. Le Men rencontre des auteurs étrangers, rend visite à certains d’entre eux dans les Balkans, en Afrique, au Canada, à Haïti… Il monte un véritable réseau de connivence et d’amitiés poétiques. Il devient le créateur de rencontres poétiques internationales sous le label « Il fait un temps de poèmes » au Carré magique de Lannion, la ville où il réside. Il approfondit ses relations avec des poètes qui lui sont particulièrement chers : Claude Vigée, François Cheng et tant d’autres. Cette débauche d’énergie n’empêche pas des hauts et des bas, mais dans les moments difficiles il pourra toujours compter sur de fidèles soutiens.
Yvon Le Men, Un cri fendu en mille, Les Continents
sont des radeaux perdus, Tome 3, Editions Bruno
Doucey, collection Soleil noir, 2018, 153 pages, 16 €.
Après la publication de son autobiographie poétique en trois tomes chez Bruno Doucey (Les continents sont des radeaux perdus), il s’est signalé récemment par des ouvrages faisant état de résidence d’écriture dans un quartier populaire de Rennes (Les rumeurs de Babel, Dialogues, 2017) puis dans la campagne profonde de l’est de la Bretagne (Aux marches de Bretagne, Dialogues, 2019)
Le Goncourt 2019 vient donc couronner l’œuvre d’un auteur qui a beaucoup publié et beaucoup donné pour la diffusion de la poésie. Et ce que l’on doit retenir de son œuvre (qui n’est pas achevée), c’est d’abord cette fidélité indéfectible à l’enfance, lui qui a été un enfant « aux poches pleines de crayons de couleurs » et qui est devenu un homme « aux yeux perméables à la source » (A l’entrée du jour). « Un poète est quelqu’un de curieux qui, comme l’enfant ne sait pas et qui avance vers quelque chose. La poésie commence là ou l’intelligence et le savoir finissent », déclarait-il en 1994 dans la Revue Blaireau.
De Yvon Le Men on peut dire enfin qu’il ne conçoit la poésie qu’en terme d’échange et de partage. De fraternité. Avec un regard toujours neuf sur le monde et une capacité d’émerveillement intacte. « Le bruit court qu’on peut être heureux ». Ces mots de Jean Malrieu auront été, de bout en bout, son sésame dans la vie.
Présentation de l’auteur
- Le 30e numéro de Spered Gouez, L’esprit sauvage - 6 novembre 2024
- Antonia Pozzi, Un fabuleux silence - 6 septembre 2024
- Jean-Pierre Boulic, Quelques miettes tombées du poème - 6 mai 2024
- Joseph-Antoine D’Ornano, Instantanés sereins - 1 mars 2024
- Cécile A. Holdban, Premières à éclairer la nuit - 6 février 2024
- Estelle Fenzy, Une saison fragile - 6 janvier 2024
- Maurice Chappaz, Philippe Jaccottet : Correspondance, 1946–2009 - 21 décembre 2023
- Marina Tsvetaïeva, Après la Russie - 6 décembre 2023
- Hélène Dorion, Mes forêts - 29 octobre 2023
- Cécile A.Holdban, Toutes ces choses qui font craquer la nuit - 22 septembre 2023
- Colette Wittorski, Ephéméride - 6 septembre 2023
- Jean-Claude Coiffard, Le ciel était immense - 21 juin 2023
- Cécile A. Holdban, Kaléidoscope, Tapis de chiffons - 6 juin 2023
- Claude Serreau, Réviser pour après - 20 mai 2023
- Philippe Jaccottet, La promenade sous les arbres - 29 avril 2023
- Gérard Bessière, De lumière et de vent - 20 avril 2023
- Chantal Couliou, Instants nomades - 6 avril 2023
- Paul Verlaine, Nos Ardennes - 19 mars 2023
- Michel Dugué, Veille - 1 mars 2023
- Marie de la Tour et Taxis, Souvenirs sur Rainer Maria Rilke - 21 février 2023
- Haïkus : Du bleu en tête - 5 février 2023
- Marie-Josée Christien et Yann Champeau, Marais secrets - 24 janvier 2023
- Yvon Le Men, prix Paul-Verlaine - 29 décembre 2022
- Gustave Roud, Œuvres complètes - 29 décembre 2022
- Liza Kerivel, Nos - 21 décembre 2022
- Cypris Kophidès, La nuit traversière - 4 décembre 2022
- Alain Vircondelet : Des choses qui ne font que passer - 18 novembre 2022
- Benoît Reiss, Un dédale de ciels - 6 octobre 2022
- Anne-Lise Blanchard, L’horizon patient - 22 septembre 2022
- Le haïku face au changement climatique - 1 juillet 2022
- Carles Diaz : L’arbre face au monde - 19 juin 2022
- Alain Vircondelet, Des choses qui ne font que passer - 20 mai 2022
- Olivier Cousin, La vie à l’envers - 3 mai 2022
- Yvon Le Men, Les Epiphaniques - 20 avril 2022
- Jean-Claude Albert Coiffard, Il y aura un chant - 5 avril 2022
- John Keats : La poésie de la terre ne meurt jamais - 21 février 2022
- Jean Lavoué, Carnets de l’enfance des arbres - 21 janvier 2022
- Claude Serreau, Résurgence ou les parenthèses du soir - 28 décembre 2021
- Stefan Zweig, La Vie d’un poète - 21 décembre 2021
- Christine Guénanten, Féerique fougère - 6 décembre 2021
- Xavier Grall – Georges Perros, Regards croisés - 21 novembre 2021
- Marie-Josée Christien, Eclats d’obscur et de lumière - 21 octobre 2021
- Yvon Le Men, La baie vitrée, Alda Merini, La folle de la porte à côté, Chantal Couliou, Du soleil plein les yeux - 6 septembre 2021
- Yeats : le poète irlandais réédité - 5 juillet 2021
- Anne-José Lemonnier, Au clavier des vagues - 20 avril 2021
- Eve Lerner, Le Chaos reste confiant - 21 février 2021
- Marie-Josée Christien, Constante de l’arbre - 6 février 2021
- François Clairambault, Les Anges sont transparents - 21 janvier 2021
- Nathan Katz, La petite chambre qui donnait sur la potence - 6 décembre 2020
- Colette Wittorski : L’immensité des liens - 31 octobre 2020
- Claude Vigée : la disparition d’un grand poète - 19 octobre 2020
- Nicole Laurent-Catrice, Pour la vie - 6 octobre 2020
- La douceur amère de l’Américaine Sara Teasdale - 19 septembre 2020
- Alain Kervern, « praticien » du haïku - 6 septembre 2020
- Marie-Claire Bancquart, De l’improbable précédé de MO®T - 21 juin 2020
- Nicolas Rouzet, Villa mon rêve - 6 juin 2020
- La vision Claire de Jacques Josse - 21 mai 2020
- Bernard Perroy et Nathalie Fréour, Un rendez-vous avec la neige - 6 mai 2020
- Le haïku face au changement climatique - 21 avril 2020
- Yvon Le Men et Simone Massi, Les mains de ma mère - 6 avril 2020
- Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire - 21 mars 2020
- Etty Hillesum et Rainer Maria Rilke - 6 mars 2020
- Janine Modlinger, Pain de lumière - 26 février 2020
- Thierry Cazals et Julie Van Wezemael, Des haïkus plein les poches - 20 janvier 2020
- Bluma Finkelstein, La dame de bonheur - 5 janvier 2020
- Guénane, Ta fleur de l’âge - 20 décembre 2019
- Paul Guillon, La couleur pure - 6 décembre 2019
- Estelle Fenzy, La minute bleue de l’aube - 21 novembre 2019
- Jacques Rouil, Les petites routes - 6 novembre 2019
- Daniel Kay, Vies silencieuses - 25 septembre 2019
- En longeant la mer de Kyôto à Kamakura - 1 septembre 2019
- Autour de Salah Stétié - 6 juillet 2019
- Yvon Le Men : un poète à plein temps - 4 juin 2019
- Collection PO&PSY : le grand art de la forme brève - 4 juin 2019
- Fil autour de Jean-Claude Caër, François de Cornière, Jean-Pierre Boulic - 4 mai 2019
- Cécile A. Holdban : Toucher terre - 3 février 2019
- Rezâ Sâdeghpour, Yvon Le Men, Marc Baron - 4 janvier 2019
- Thierry-Pierre Clément reçoit le Prix Aliénor d’Aquitaine pour Approche de l’aube - 3 décembre 2018
- Gilles Baudry et Philippe Kohn, Roland Halbert, Xavier Grall - 3 décembre 2018
- Autour de Paol Keineg, Jean-Luc Le Cléac’h, Guy Allix et Amaury Nauroy - 5 novembre 2018
- Alexandre Romanès, Le Luth noir - 5 octobre 2018
- Le « roman » du poète Gustave Roud - 5 octobre 2018
- Japon : « Poèmes et pensées en archipel » - 6 avril 2018
- Marie-Hélène Prouteau enchante Nantes - 26 janvier 2018
- Antoine Arsan et son « éloge du haïku » - 26 janvier 2018
- Jean-Pierre Denis, Tranquillement inquiet - 26 janvier 2018
- Pierre Dhainaut, Un art des passages - 26 janvier 2018
- Jean-Marc Sourdillon La vie discontinue - 26 janvier 2018
- Jean Onimus, Qu’est-ce que le poétique ? - 26 janvier 2018
- Les méditations poétiques de Philippe Mac Leod - 14 octobre 2017
- Xavier Grall, Les Billets d’Olivier réédités - 30 septembre 2017
- Jean-Marie Kerwich, Le livre errant - 30 septembre 2017
- Mémoire d’Angèle Vannier - 30 septembre 2017
- Jean Lavoué, Ce rien qui nous éclaire - 30 septembre 2017
- Anne-Lise Blanchard, Le soleil s’est réfugié dans les cailloux - 30 septembre 2017
- Claude Albarède sur le Causse - 30 septembre 2017
- Fil de lecture : Yvon LE MEN, Guy ALLIX, Anne GOYEN, Terada TORAHIKO - 25 mars 2017
- Fil de lecture : Louis BERTHOLOM, Jean-Pierre BOULIC, Roland HALBERT. - 12 novembre 2016
- Fil de Lecture de Pierre Tanguy : Cécile HOLDBAN, Alain KERVERN, Gilles BAUDRY - 16 octobre 2016
- Denis HEUDRE : Sèmes Semés - 15 mai 2016
- Fil de Lecture de Pierre TANGUY : sur Philippe JACCOTTET et Jean-Michel MAULPOIX - 15 mai 2016
- Fil de lecture de Pierre Tanguy : sur Antonia POZZI, et SÔSEKI - 29 avril 2016
- FIL DE LECTURE de Pierre Tanguy : Grall, Jaccottet, Prouteau, Vernet, Bertholom - 8 février 2016
- Paol Keineg Mauvaises langues - 1 mars 2015
- Iraj Valipur, Zabouré Zane, femmes postmodernes d’Iran en 150 poèmes (1963–2013) - 17 février 2015
- Dorianne Laux, Ce que nous portons - 5 janvier 2015
- Sur deux recueils de Roland Halbert - 24 octobre 2014
- Andréï Tarkovski : ce qu’il nous dit de la poésie - 14 septembre 2014
- Pierre Jakez Hélias, une œuvre poétique à (re) découvrir - 31 janvier 2014
- A propos de Claude Vigée - 14 janvier 2014
- Lucia Antonia, funambule de Daniel Morvan - 23 décembre 2013
- Clin d’Yeu de Guénane - 27 novembre 2013
- Traversée de Marie-Hélène Lafon - 19 novembre 2013
- Hommage à Seamus Heaney - 18 novembre 2013
- Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie de François Cheng - 4 novembre 2013
- Le chant de la source de Fanch Peru - 26 octobre 2013
- Il fait un temps de poèmes, textes rassemblés par Yvon Le Men - 22 octobre 2013
- Chemin de feu, peinture et poésie, de Bernard Grasset - 2 octobre 2013
- Poétique de la théologie - 6 août 2013
- Littérature et spiritualité en Bretagne - 30 juillet 2013
- Sans adresse l’automne, Jean-Albert Guénégan - 16 juillet 2013
- Comme un nuage au fond des yeux, Geneviève Le Cœur - 9 juin 2013