Chronique du veilleur (4) – Georges Bonnet, Entre deux mots la nuit

Par |2018-01-07T12:36:33+01:00 16 novembre 2012|Catégories : Chroniques, Georges Bonnet|Mots-clés : |

Georges Bon­net a pub­lié de nom­breux livres de poèmes à par­tir des années 80, une fois sa retraite d’enseignant prise. Livres d’une sen­si­bil­ité rare, où il s’est affir­mé comme un véri­ta­ble maître de cli­mats et d’atmosphères, artiste de l’infime, en sym­pa­thie avec le plus hum­ble. Dans les années 2000, il a com­mencé à pub­li­er des romans poé­tiques et des nou­velles, chez Flam­mar­i­on (Un si bel été, Un bref moment de bon­heur) et au Temps qu’il fait, le dernier livre en 2010 (Chaque regard est un adieu).

Aujourd’hui, les édi­tions de L’Escampette font paraître son livre le plus auto­bi­ographique et le plus inten­sé­ment trag­ique : Entre deux mots la nuit. Il s’agit de son épouse entrée dans une rési­dence pour gens âgés et dépen­dants, atteinte d’une mal­adie proche de celle d’Alzheimer. Le livre fait se suc­céder des phras­es de prose, des frag­ments de jours, des instants passés là.  « La ten­dresse tou­jours, inépuis­able issue. Je lui dis mon amour, et les mots n’ont pas d’âge. »

Entre deux mots la nuit Georges Bonnet - Editions L'Escampette

Entre deux mots la nuit, Georges Bon­net, Edi­tions L’Escampette

Georges Bonnet

Georges Bon­net

Georges Bon­net accom­pa­gne cette lente marche vers l’absence et la détresse d’un corps « aban­don­né », jusqu’au moment où « les mots sont désor­mais trop lourds pour elle ». Il dit les prom­e­nades dans le jardin, les som­no­lences puis les réveils dans le fau­teuil, les allées et venues des sœurs soignantes, la fenêtre de la cham­bre où « le paysage se pose dans l’instant ». Il regarde cette femme qui s’éloigne et qui lui fait écouter un silence qu’il n’a jamais jusqu’alors enten­du. Ils évo­quent le passé mais bien­tôt « c’est un brouil­lard qui se lève » au fond d’une mémoire épuisée. « Elle veut me par­ler, mais tout vac­ille, devient loin­tain. Elle se tait. Quelque chose en elle s’éteint, qu’elle ne com­prend pas. »

Le poète la revoit « en robe légère, coif­fée d’un cha­peau de paille(…) à la sai­son où elle ouvrait les portes et les fenêtres aux lilas blancs. » Tout se referme à présent.

« Nous sommes face à face dans la clarté de l’instant.
L’instant accueil­li, l’instant ren­du au temps.
Sur les pla­tanes, des feuilles jau­nies fris­son­nent, cha­cune dans son attente. »

Ce livre est d’une inten­sité poignante, il débor­de d’humanité sans aucune sen­si­b­lerie ni facil­ité. Bien au con­traire, il affronte l’indicible d’une manière très rarement vue jusqu’ici en lit­téra­ture, avec des mots de poète certes, mais qui ne pèsent pas leur poids de mots, tant les vibra­tions qu’ils propa­gent sont vives, directe­ment ressen­ties par le cœur. La pudeur et le courage de l’auteur ajoutent encore à la beauté trag­ique de ce texte.

« Elle sait ce qui se passe autour des choses.
Je reste à l’écart de ce que je ne saurais com­pren­dre et voir. »

C’est dans cet « écart » que se situe l’écriture sin­gulière de ce grand livre et cet « écart » est d’abord et surtout une écoute. L’amour est partout ici, il règne douce­ment, sans par­ler, « peut-être qu’aimer est son dernier cordage », sug­gère le poète. « Nous buvons à la même blessure. » Com­mu­nion sub­lime que deux êtres peu­vent vivre, l’un à côté de l’autre, déjà presque au bord de la mort !  « La splen­deur du vide » est là, toute proche, pour eux. On ne referme pas ce livre- qui est plus qu’un livre- intact.

C’est une grande leçon que Georges Bon­net nous offre ici, un cadeau que seuls les très grands poètes peu­vent pré­par­er avec leur souf­fle et leur sang, pour toute l’humanité.

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Gérard Bocholier

Gérard Bocholi­er est né le 8 sep­tem­bre 1947 à Cler­mont-Fer­rand (France). Il a fait ses études sec­ondaires et supérieures dans cette ville, y a ensuite enseigné la lit­téra­ture française et les let­tres clas­siques en classe de let­tres supérieures. Orig­i­naire d’une famille de vignerons de la plaine de Limagne, il est franc-com­tois par sa famille mater­nelle, à la fron­tière du pays de Vaud en Suisse. Il a passé son enfance et sa jeunesse dans le vil­lage pater­nel de Mon­ton, au sud de Cler­mont-Fer­rand, que les poèmes en prose du Vil­lage et les ombresévo­quent avec ses habi­tants. La lec­ture de Pierre Reverdy, à qui il con­sacre un essai en 1984, Pierre Reverdy lephare obscur,déter­mine en grande par­tie sa voca­tion de poète. En 1971, Mar­cel Arland, directeur de la NRF, lui remet à Paris le prix Paul Valéry, réservé à un jeune poète étu­di­ant.  Son pre­mier grand livre, L’Ordre du silence, est pub­lié en 1975.  En 1976, il par­ticipe à la fon­da­tion de la revue de poésieArpa, avec d’autres poètes auvergnats et bour­bon­nais, dont Pierre Delisle, qui fut un de ses plus proches amis. D’autres ren­con­tres éclairent sa route : celle de Jean Gros­jean à la NRF, puis celle de Jacques Réda, qui lui con­fie une chronique régulière de poésie dans les pages de la célèbre revue à par­tir des années 90, mais aus­si l’amitié affectueuse du poète de Suisse romande, Anne Per­ri­er, dont il pré­face les œuvres com­plètes en 1996. Son activ­ité de cri­tique de poésie ne cesse de se dévelop­per au fil des années, il col­la­bore  au fil des années à de nom­breuses revues, notam­ment à la Revue de Belles Let­tresde Genève, au Nou­veau Recueil, et surtout à Arpa,dont il assure la direc­tion dès 1984. Il donne actuelle­ment des poèmes à Thau­ma,Nunc,Le Jour­naldes poètes. Cer­tains de ses arti­cles sont réu­nis dans le vol­ume Les ombrages fab­uleux,en 2003. A par­tir de 2009, un an avant sa retraite, il se con­sacre prin­ci­pale­ment à l’écriture de psaumes, pub­liés par Ad Solem. Le pre­mier vol­ume est pré­facé par Jean-Pierre Lemaire, son ami proche. Le deux­ième s’ouvre sur un envoi de Philippe Jac­cot­tet. Son essai Le poème exer­ci­ce spir­ituelexplique et illus­tre cette démarche. Il prend la respon­s­abil­ité d’une rubrique de poésie dans l’hebdomadaire La Vieet tient une chronique de lec­tures, « Chronique du veilleur »,  à par­tir de 2012 sur le site inter­net :Recours aupoème. De nom­breux prix lui ont été attribués : Voron­ca (1978), Louis Guil­laume (1987), le Grand Prix de poésie pour la jeunesse en 1991, le prix Paul Ver­laine  de la Mai­son de poésie en 1994, le prix Louise Labé en 2011. L’Académie Française lui a décerné le prix François Cop­pée pourPsaumes de l’espérance en 2013. Son jour­nal intime, Les nuages de l’âme, paraît en 2016, regroupant des frag­ments des années 1996 à 2016. Par­mi ses pub­li­ca­tions poé­tiques récentes : Abîmes cachés(2010) ; Psaumes du bel amour(2010) ; Belles saisons obscures(2012) ; Psaumes de l’espérance(2012) ; Le Vil­lageemporté (2013) ; Pas­sant (2014) ; Les Etreintes invis­i­bles (2016) ; Nuits (2016) ; Tisons(2018) ; Un chardon de bleu pur(2018) ; Depuis tou­jours le chant(2019) A paraître : Ain­si par­lait Georges Bernanos(Arfuyen) ; Psaumes de la Foi vive (Ad Solem) ; J’appelle depuis l’enfance (La Coopéra­tive). En 2019 parais­sent Ain­si par­lait G.Bernanos, Psaumes de la foi vive, Depuis tou­jours le chant ; en 2020 J’ap­pelle depuis l’en­fance (La Coopéra­tive) et Une brûlante usure (Le Silence qui roule), Vers le Vis­age (Le Silence qui roule, 2023) et Cette allée qui s’ef­face (Arfuyen, 2024)

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